À la tête de Sookoo Coffee, Ture Waji collecte le café de plus de 700 fermiers, avant de le préparer et de l’exporter en Europe, en Asie ou aux États-Unis.
Alors que la récolte a démarré en Éthiopie, celui que l’on surnomme le « King of Guji » surveille de près la production de sa ferme et celle des centaines de fermiers indépendants avec lesquels il travaille.
Cette année, les conditions météo plus clémentes, avec des jours de pluie mieux répartis, lui donnent l’espoir d’une récolte plus abondante et qualitative.
Mais, déjà, une bonne nouvelle est tombée : le possible report d’un an pour la mise en conformité EUDR, lui laissant plus de temps pour se préparer à cette nouvelle réglementation contre la déforestation.
Bonjour Ture, quel est ton parcours dans le café ?
Mon grand-père était producteur de café à Hambela. Plus jeune, pendant les vacances d’été, je passais beaucoup de temps dans sa ferme. C’est comme ça que j’ai commencé à me connecter avec ce produit.
Je n’ai pas grandi dans une région productrice, mais après le lycée, j’ai intégré l’université près de Yrgacheffe, où j’ai étudié l’agronomie et tout ce qui concerne la culture du café, de la préparation des semences jusqu’à la transformation. Ensuite, j’ai rejoint un exportateur de café à Guji pour gérer sa ferme, et c’est là que je suis devenu expert en qualité et en production. J’ai parcouru toute la zone de Guji pour le café.
Quand as-tu créé Sookoo Coffee ?
Sookoo Coffee a commencé en 2019. J’avais développé une véritable passion pour les process et la qualité du café, et je voulais essayer de nouvelles choses. J’ai créé Sookoo parce que je voulais travailler à ma manière.
Aujourd’hui, on travaille dans les woredas [districts] de Shakiso, où nous possédons deux stations de séchage et une station de lavage, et à Uraga, où nous avons deux stations de séchage. Nous avons également une ferme à Shakiso.
Nous transformons principalement des cafés natures. C’est très respectueux de l’environnement, et maintenir la qualité des cafés en process naturel est un défi. Tout le monde peut faire du café lavé en Éthiopie, mais le naturel est beaucoup plus complexe, car il est plus difficile de contrôler le séchage.
Comment parviens-tu à produire d’aussi bons cafés naturels, alors ?
Pour moi, produire un bon café naturel dépend en grande partie du temps investi dans la formation des producteurs. Je passe beaucoup de temps avec ceux à qui j’achète le café, car notre ferme est très jeune et ne représente que 2 % de la production totale de Sookoo Coffee. Donc, je forme les agriculteurs sur la façon de gérer leur ferme, de cultiver et de récolter le café. Si j’ai de bonnes cerises, les étapes suivantes sont plus faciles.
Ensuite, je travaille avec mes employés et leur montre tout ce que je sais pour transformer le café selon nos propres standards.
Combien de temps faut-il pour transformer les cafés après la récolte ?
Quand le café arrive aux stations, il est placé sur des lits de séchage pendant 28 jours. Pour les cafés lavés, c’est 20 jours de séchage. On transforme notre café lentement, et après le séchage, il repose dans notre entrepôt durant un mois.
Ensuite, il part à Addis pour être trié à nouveau, avant d’être envoyé en Europe. Donc, disons que le processus complet dure 3 mois pour les naturels, et deux mois et demi pour les cafés lavés.
Tu parlais précédemment d’essayer de nouvelles choses. Qu’en est-il des process expérimentaux ?
Pour garder la passion intacte, dans le business du café, il faut continuer à avoir de l’intérêt pour les nouveautés, et essayer ces nouvelles choses. Chacun a ses propres goûts, et je veux avoir quelque chose de différent pour tous nos clients en Europe, en Asie ou aux États-Unis.
Même avec le naturel, nous faisons différents processus naturels. Donc oui, pour répondre à ta question, nous faisons aussi quelques procédés expérimentaux, mais cela ne concerne que de petites quantités de café.
Qu’est-ce qui fait de la zone de Guji un bon endroit pour le café ?
De manière générale, les régions caféières d’Éthiopie ont de bonnes pratiques agroécologiques. Si on compare Guji aux zones de Sidama ou Yrgacheffe, Guji est une nouvelle région caféière.
Ce n’est pas une région très cultivée, ce qui est une chance, car la forêt et le sol restent très fertiles. Par exemple, là où se trouve notre ferme, nous sommes les premiers à cultiver la terre. C’est du café cultivé sous ombrage, avec des arbres indigènes.
As-tu entendu parler du système Gada ? C’est notre modèle d’organisation, qui établit des lois pour tout, même pour la coupe des arbres. Et, c’est grâce à ce contrôle que les forêts de Guji sont préservées. Cette organisation rend Guji assez unique.
Peux-tu expliquer pourquoi la forêt est-elle si importante pour la production de café ?
On peut produire du café sans forêt. Mais on n’obtiendra pas une production durable. La forêt maintient le sol fertile, sans engrais, qui sont nocifs pour la santé, et elle maintient le niveau d’humidité nécessaire à la production de café.
Elle régule aussi la lumière du soleil et offre une bonne protection contre l’érosion des sols et le changement climatique. C’est pour cela, à mon avis, que la production de café et les forêts sont indissociables.
En tant qu’exportateur de café et défenseur de la forêt, comment as-tu accueilli la réglementation européenne sur la déforestation (EUDR), possiblement reportée à fin 2025 ?
Eh bien, puisque nous devons tous protéger la forêt, le concept est bon, bien sûr. Nous devons maintenir en vie les forêts et la production de café. Si nous arrêtons de produire du café, dont beaucoup de gens dépendent ici, il sera remplacé par d’autres cultures comme le maïs, et nous commencerons à couper des arbres. La culture du café aide à préserver ces arbres, dont certains ont parfois plus de 100 ans.
C’est une bonne chose si cette réglementation est retardée, car nous devons sensibiliser les agriculteurs, et les aider à s’y préparer. S’ils ne sont pas prêts et ne peuvent pas vendre leur café, cela affectera sérieusement leur vie.
Pour te donner notre exemple, on travaille avec 700 producteurs, et nous avons collecté beaucoup de données pour être en règle. Il nous manque encore certaines informations, alors que se passerait-il pour les agriculteurs dont nous n’avons pas encore les informations, si l’EUDR entre en vigueur à la fin de l’année ? L’Europe est notre marché principal, et nous n’avons pas les moyens de l’ignorer parce que nous ne pouvons pas respecter une deadline imposée.