Dans les montagnes d’Antigua, au Guatemala, Felipe Contreras a fait de la Finca Gascon bien plus qu’une simple ferme caféière.
À moins de 30 ans, quand la moyenne d’âge des producteurs de café approche la soixantaine, il est la première génération de sa famille à cultiver sérieusement le café. Au Guatemala, c’est rare.
Passionné par les process et la qualité, il place l’environnement et l’excellence au cœur de sa démarche, influence une nouvelle génération de producteurs et ne semble pas prêt de s’arrêter là.
Comme tu n’es pas issu d’une famille de producteurs, je voulais savoir comment tu es arrivé dans le café ?
Je n’ai jamais pensé devenir producteur… Avant la Finca Gascon, je voulais travailler dans un domaine lié à mes études en relations internationales et en sciences politiques. Mais cela ne s’est pas réalisé.
Au Guatemala, la production de café est un milieu très élitiste. Généralement, on devient producteur par héritage, de génération en génération. Acheter sa propre ferme est très difficile, et je n’y pensais pas, même si j’avais déjà réfléchi à exporter du café, ce qui est bien différent de la production.
Comment a commencé l’aventure de la Finca Gascon, alors ?
En 2014, quand mon père a acheté la ferme de mon oncle. C’était une petite ferme de 5 hectares, elle en fait plus de 40 aujourd’hui.
Au début, il n’y avait pas de route. Il fallait marcher depuis Antigua pour y arriver. À cette époque, en 2014, je vivais ma vie d’étudiant, en ville, et je n’aurais jamais su que faire de toute cette terre.
Deux ans plus tard, j’ai eu quelques soucis avec l’université et je suis retourné à Antigua. Je travaillais à la ferme, même en dehors des saisons de récolte, de café ou d’avocats. Comme tout le monde, je marchais, je passais ma journée à la ferme, je récupérais les œufs des poules, et je rentrais.
À quel moment tu commences à produire du café ?
Assez vite, des aspects et leurs impacts sur le café m’ont intéressé : l’altitude, le système de production, l’agroforesterie… Cet intérêt a été la base de mon apprentissage.
J’ai suivi un premier cours sur le café en 2018, pour tout savoir, de manière générale, du moment où on plante une graine jusqu’à la préparation du café. Ce cours a été une base théorique solide, idéale pour commencer à créer et ne rien laisser au hasard.
En 2020, pendant la pandémie, j’ai passé mon temps à la ferme, pour apprendre encore. Et là, il se passe quelque chose de particulier : j’exporte du café pour la première fois. Deux ans avant, on ne vendait du café que localement, et uniquement du bourbon lavé. Mais cette expérience m’a amené à aller plus loin et à expérimenter, notamment sur les process.
Et comment commences-tu à expérimenter ?
Je me suis lancé à fond, j’ai convaincu mon père d’acheter des cerises à d’autres producteurs, car je ne voulais pas expérimenter avec la production de Gascon.
On a donc acheté des cerises et fait environ 100 micro-expériences avec différentes méthodes de transformation. Peut-être 4 à 6 se sont avérées excellentes ou suffisamment bonnes pour l’exportation. Le reste, c’était bon, mais n’apportait pas grand-chose aux cafés.
C’est de ces expériences que je tiens mes process actuels, que j’améliore à chaque récolte. Actuellement, je fais beaucoup de process anaérobiques, de macération carbonique, des honeys. Ce sont des process qui performent toujours bien lors des dégustations avec les clients.
Quel est l’intérêt, pour toi, de ces process, comparé aux plus traditionnels, lavé ou nature ?
Quand j’ai commencé à tester des process, je voulais emmener des variétés comme le bourbon et le typica au même niveau qu’un geisha, et créer un projet homogène où chaque café, à la Finca Gascon, est exceptionnel.
Je cherche à améliorer des caractéristiques spécifiques, atteindre un score de dégustation de 89, pas seulement 85 ou 86. C’est vraiment intéressant en tant que producteur. Pour chaque process, il faut connaître et comprendre chaque variété de café.
Par exemple, on ne fait jamais de macération carbonique sur les geishas. La densité du grain est trop faible, si le grain subit trop de pression pendant la fermentation, il va se dégrader.
Et en ce qui concerne les process co-fermentés ou infusés ?
Ma démarche, c’est le respect du produit. Mais c’est aussi une question de marché, et le café reste un business. Si un client me propose d’acheter 100 kilos de café infusé à un bon prix, et souhaite que je le transforme, je le ferai.
Mais ce ne serait pas un café brandé Finca Gascon. Je comprends le marché, mais je ne veux surtout pas compromettre la qualité et ma réputation de producteur, qui est celle d’un producteur qui respecte sa terre et ses arbres.
D’ailleurs, on connaît bien les bénéfices à préserver le sol, à avoir des arbres sur sa ferme, pour produire un meilleur café. Mais on sait moins si cela est rentable ?
C’est simple, en travaillant en agroforesterie, j’économise sur les intrants, et ajoute de la valeur à ma matière première, le café. Si aujourd’hui, beaucoup de monde veut travailler avec la Finca Gascon, c’est pour cette raison. De mon point de vue, c’est beaucoup plus rentable de travailler de cette manière, et aussi beaucoup plus durable.
À la Finca Gascon, on n’utilise pas d’herbicides, et nos fongicides sont entièrement biologiques. Par exemple, nous utilisons un fongicide à base de cuivre qui sèche les champignons sans tout tuer autour comme le feraient des produits chimiques de laboratoire.
Ça, il faut le savoir : quand tu utilises des produits chimiques, la grande majorité du produit n’agit pas sur la plante en question, mais sur ce qui l’entoure, comme le sol.
Comment vois-tu Finca Gascon se développer ?
Actuellement, j’ai atteint le niveau de qualité que je souhaitais. Mais c’est difficile d’aller plus loin avec une seule ferme. Le truc, c’est que le travail de mes collaborateurs vaut maintenant beaucoup plus qu’il y a trois ans. On construit un modèle robuste et durable qui devient plus fort chaque année.
Et, aujourd’hui, plusieurs fermes au Guatemala voudraient travailler avec nous, en mettant en œuvre nos pratiques agricoles et nos process. À force, peut-être que d’autres agriculteurs adopteront certaines de nos pratiques, comme réduire les intrants chimiques, ce qui serait déjà bien.
Et pourquoi ces producteurs n’avaient pas envie de travailler avec toi, au départ ?
C’était difficile, personne ne faisait attention à moi et quand j’arrivais avec des échantillons, les gens se demandaient qui j’étais et remettaient en cause tout mon travail. J’ai mis du temps à m’intégrer dans la communauté des producteurs du coin. Mais j’ai établi des contacts avec des personnes comme Markos Fischer, avant qu’il ne rejoigne Belco, à l’époque de Meet Los Amigos, qui ont vu mon potentiel de développement. Je savais que je n’avais pas de nom, mais je leur ai promis de faire de mon mieux.
Maintenant, j’ai gagné le respect de ceux qui ne croyaient pas en moi. Je travaille avec des personnes qui pensent comme moi, qui partagent mes valeurs, et veulent développer une caféiculture plus vertueuse. J’ai confiance en mon café et mes méthodes, et cette indépendance, c’est le plus important !