Mikaël Portannier, Meilleur Ouvrier de France, vient de décrocher le titre de Champion du Monde de Torréfaction 2025, lors des World Coffee Championships qui ont eu lieu à Houston, du 25 au 27 avril, pendant lesquels 23 des meilleurs torréfacteurs mondiaux se sont affrontés. Il nous raconte sa préparation, les secrets de sa victoire et les suites de l’aventure !
Salut Mikaël. Tout d’abord, félicitations ! Qu’est-ce qui a fait la différence dans ta victoire ?
C’est clairement la stratégie. Le championnat de torréfaction, c’est comme au poker : tu choisis une approche dès le début, tu t’y tiens jusqu’au bout, et c’est un peu « all in ». Tu y crois jusqu’à la fin, et ça passe ou ça casse.
Avec Dajo Aertseen (Cafés Muda) qui m’a coaché, on avait développé une approche spécifique pour chaque café, quelle que soit sa densité ou son humidité. On avait préparé trois feuilles de route : une pour un café lavé, une pour un café nature, et une pour un décaféiné.

Au-delà de la technique, qu’est-ce qui a joué en ta faveur ?
Ma capacité d’adaptation, que je ne pensais pas aussi bonne, surtout n’ayant découvert la machine utilisée pour la compétition il y a quelques mois seulement, en commençant l’entraînement en septembre-octobre.
Le jour J, le sang-froid est essentiel. En compétition, si on stresse, c’est fini. Et puis l’expérience des championnats m’a appris qu’il faut participer en se disant qu’on a déjà gagné beaucoup en étant là. Bien sûr, c’est stressant et si tu perds, tu dois tout recommencer l’année suivante, et recommencer par les championnats nationaux.
Quelles sont les différences entre les championnats de France et du monde ?
Aux championnats du monde, le temps de préparation change radicalement. En France, on reçoit les échantillons une semaine avant, alors qu’aux mondiaux, on les découvre seulement la veille. C’est extrêmement serré !
Concrètement, le jour avant la compétition, on a 45 minutes pour analyser les cafés verts, puis 45 minutes pour échantillonner avec un café imposé, et enfin 30 minutes de « cupping » pour définir notre plan.
Tout va beaucoup plus vite. Si tu n’as pas une stratégie claire dès le départ pour chaque type de café, tu es perdu. L’analyse rapide et les décisions stratégiques font toute la différence.
Quels cafés as-tu travaillés pendant le championnat ?
Nous avions quatre cafés. Un café imposé pour tous – un Éthiopie lavé de Yirgacheffe – pour l’épreuve du mono-origine.
Pour l’assemblage, on a eu trois cafés, avec obligation d’utiliser au moins 10% de chaque : un Brésil de la Fazenda Um, un Honduras qui comportaient tous les deux des défauts, notamment d’humidité pour le Honduras, et un Kenya lavé avec de beaux grains, homogènes, de bonne densité et humidité.
Comment as-tu élaboré ta stratégie d’assemblage ?
On a directement opté pour 80% de Kenya et 10% des deux autres. On avait pensé utiliser plus de Honduras pour ses notes fruitées et son acidité, mais quand j’ai mentionné son faible taux d’humidité, Dajo a immédiatement validé le choix de privilégier le Kenya, bien plus qualitatif. Le Honduras n’aurait pas réagi de la même façon à la torréfaction.
D’autres concurrents ont fait des choix très différents : certains ont mis 50% de Kenya, 30% de Honduras et 20% de Brésil. D’autres jusqu’à 80% de Honduras ou plus de 50% de Brésil. Je pense que les premiers du classement avaient tous misé sur une forte proportion de Kenya.
Pour l’Éthiopie lavée, c’était un peu plus simple. On voulait préserver sa douceur et son acidité tout en caramélisant légèrement, car le cupping extrait moins qu’une V60.
Qu’as-tu ressenti en devenant champion du monde ?
Une grande fierté, mais je garde les pieds sur terre. L’année prochaine, je pourrais ne pas finir dans le top six aux championnats de France. Il y a tellement de variables avec les cafés et les machines. Le champion norvégien (Simo Kristidhi, ndlr.), présent aux mondiaux cette année, en était à sa cinquième participation mondiale. Il aurait pu gagner, mais sa stratégie avec 80% de Honduras n’a pas convaincu au cupping.
Je pense qu’avec Dajo, on est champions du monde de la stratégie en 2025. Mais la même approche ne sera peut-être pas gagnante en 2026.
Quelle a été la réaction de la communauté française du café ?
J’ai reçu une vague incroyable de messages. D’abord des encouragements, puis des félicitations après la victoire. Je n’ai jamais reçu autant de messages en 24 heures ! Avec le décalage horaire, pendant qu’on faisait la fête à 2-3h du matin, les gens en France se réveillaient avec la nouvelle. À un moment, j’ai dû couper mon téléphone pour dormir.
Qu’est-ce que cette victoire change pour toi ?
Pour l’instant, pas grand-chose, mais ce titre va accélérer nos projets. Avec Damien Buretier, on prévoit d’ouvrir notre torréfaction avant la fin de l’année. On reçoit aussi beaucoup de demandes de gens pour goûter « le café du champion ».
Cette victoire apporte plus de crédibilité à mon travail et à celui de tous les torréfacteurs français. On comprend maintenant que le fameux « French Roast » n’est pas si « French » que ça, et que nous avons en France une vision du café de spécialité très présente, avec une identité forte. La France n’est pas à la traîne, loin de là.
Envisages-tu de participer à nouveau l’année prochaine ?
Pas forcément. J’aimerais rendre la pareille à Dajo et l’aider à gagner à son tour. C’est la troisième personne qu’il accompagne aux championnats du monde. Il a terminé deuxième en France, il a les compétences, et je pense qu’ensemble, on peut y arriver.
On a fait un excellent travail pour ma victoire, on peut faire de même pour lui. Dajo possède un savoir considérable et mérite aussi de devenir Champion du Monde !