La production de café à la ferme Tatmara, chez Negussie Tadesse en Éthiopie

Interviewer Negussie Tadesse aurait pu ne jamais avoir lieu. La veille, notre guide m’avait donné son numéro de téléphone. “Je préfère que tu appelles pour lui expliquer comment tu connais son café, moi il ne me répond jamais”. Je commençais à désespérer après six ou sept tentatives et aucune réponse. 

Parler avec Negussie Tadesse tient du coup de chance, celui de rencontrer Delphine Ayerbe au petit-déjeuner de notre hôtel, à Bonga. Delphine est en charge de Recherches pour l’agence éthiopienne de l’acheteur de café vert Belco. Ce matin-là, elle emmenait plusieurs collaborateurs à la rencontre de Negussie Tadesse, et nous a tout de suite proposé de se joindre à eux.

Pour arriver jusqu’à la plantation de Negussie Tadesse, à quelques kilomètres de Bonga dans la région de Kaffa, il faut marcher dans une forêt dense et humide. On y entend le chant de dizaines d’oiseaux et les familles de singes Colobus qui se promènent d’arbres en arbres. C’est ici que  Negussie Tadesse a décidé de planter ses caféiers il y a 10 ans.

Comment avez-vous commencé à produire du café ?

J’étais employé par le gouvernement, et il y a 10 ans j’ai eu la chance de pouvoir acheter de la terre. Comme je suis né ici à Kaffa, la région de naissance du café, et que j’ai grandi dans cet environnement, avoir ma plantation a été une évidence. Je ne suis pas un agronomiste, mais j’apprends tous les jours. Mes arbres, à Tatmara, n’ont donc que 10 ans à peine !

Le nom de votre ferme, Tatmara, a-t-il un sens particulier ?

C’est un nom intéressant. Dans le langage local, Tato veut dire roi. Et Mara, c’est le pardon. C’est ici que le Roi de Kaffa accordait son pardon, une fois par an, à ceux qui le méritait. J’ai de la chance d’être dans un endroit où tout est pardonné !

Ici, tout est spécial. Pour venir, tu as dû traverser une rivière. Et bien lorsque mes grands-parents faisaient boire leur troupeau dans cette rivière, les vaches se mettaient à produire du lait. Mon père disait toujours que cette rivière, c’est la rivière “half-half”, moitié eau et moitié lait. J’ai aussi de la chance d’être entouré de cette rivière.

Cette terre, donc, est la meilleure terre pour cultiver le café ?

Ici, nous sommes dans la région de naissance du café. Les variétés que je cultive, à plus de 2000 mètres au-dessus du niveau de la mer, sont très intéressantes. Il y en a 5, dont 3 que je récolte et vends à Belco. L’année prochaine, j’aimerais vendre aussi les 2 autres variétés, et en développer d’autres encore. Je suis chanceux de cultiver mon café ici, à côté de l’arbre originel.

Quelles sont ces variétés ?

Ce sont des graines qui proviennent du JARC. 3 variétés ont pour nom des numéros, 74110, 74112 et 74140. La quatrième variété s’appelle Wush-wush, et la dernière Washi. Moi, je sais te dire où se trouve chaque variété dans ma plantation, et mes acheteurs savent me dire si ce sont de bons cafés. Avoir le feedback de mes acheteurs, c’est très important pour produire de la qualité.

Tu sais que le restaurant le plus fameux au monde, le Noma (restaurant du chef René Redzepi, au Danemark ndlr), a le café de Tatmara ? Le propriétaire est venu ici, a passé une nuit avec Tim Wendelboe, un des torréfacteurs les plus connus au monde. Encore une fois, Tatmara a beaucoup de chance que des gens comme eux viennent jusqu’ici, et je suis très fier de produire du café aussi qualitatif.

La qualité de votre café, c’est le critère numéro 1 ?

Je m’engage pour la qualité, pour travailler sur la qualité et m’améliorer encore et toujours. C’est d’abord la qualité, ensuite la quantité, la durabilité et enfin la traçabilité. Et pour moi, la traçabilité ça veut dire être capable de produire la même qualité. On travaille avec Belco depuis trois ans à ce sujet.

Pour y arriver, quels sont les plus grands challenges ?

Les conditions météorologiques. La pluie peut être très violente, pas seulement pour les arbres mais aussi pour les cerises qui peuvent être arrachées des branches. Ensuite la main d’oeuvre, c’est compliqué. Tatmara se trouve à 7 kilomètres de Bonga, et les gens préfèrent travailler en ville. Je dois donc donner des salaires attractifs, alors que mes ventes peuvent fluctuer d’une année sur l’autre.

Les ouvriers que nous avons croisé sur la route, ils viennent de Bonga ?

Je suis obligé de faire venir des gens qui viennent d’ailleurs. Ils viennent de Mizan (à plus de 100km de Bonga, ndlr). Et c’est là où ça devient compliqué financièrement, car je dois leur verser un salaire, mais aussi m’occuper de la nourriture, fournir les soins de première nécessité si besoin et financer leurs allers et retours. C’est un challenge, mais sans tous ces efforts, je ne peux pas garantir autant de qualité. 

Maintenant que la récolte est terminée, en quoi consiste leur travail à la ferme ? 

On doit sarcler, enlever les mauvaises herbes. Ici, on n’utilise aucun produit chimique, aucun pesticide ou fertiliseur. C’est le moment de prendre soin des arbres qui apportent de l’ombre aux caféiers, de préparer le compost… On doit se dépêcher avant la prochaine floraison. Quand la floraison commence, on arrête de toucher à la forêt. Si la floraison a commencé, c’est trop tard.

Sans être agronome, c’est avec l’expérience que vous avez appris tout ce savoir ? 

J’ai appris par l’expérience, et je continue d’apprendre, bien sûr. J’apprends des visiteurs, des torréfacteurs qui viennent ici comme Christophe Servell de Terres de Café avec qui on a beaucoup échangé. J’apprends tous les jours, c’est important de continuer à développer ses compétences. Bien sûr, il y a aussi un agronome qui travaille avec moi et qui m’apprend beaucoup, mais j’apprends de tout le monde.

Combien de personnes travaillent pour vous à Tatmara ?

Cela dépend de la saison. En ce moment, 40 personnes sont avec moi. En temps de récolte, j’ai plus de 100 personnes ici, car le picking (action de cueillir les cerises de café, ndlr) a besoin d’être fait sur un temps assez court.

Le picking du café, est-ce que ce n’est pas aussi un challenge pour une plantation caféière ?

Oh si, c’en est un également. À Tatmara, le picking est fait à la main, et les ouvriers veulent toujours cueillir trop de cerises à la fois. Alors ils tordent les branches d’arbre, au risque de les casser… D’ailleurs les babouins que l’on trouve par dizaine dans la forêt, eux sont aussi posent des difficultés. 25 à 35% de la plantation est détruite par les babouins. Ils cassent les branches en se balançant d’un arbre à l’autre. Encore un autre challenge, mais contre lequel je ne peux rien cette fois-ci.

Vous nous avez montré des sacs de cascara, et puis vos ruches. Comptez-vous diversifier les ressources de la plantation ?

Oui, cela fait maintenant 2 ans que je produis du miel. Mais comme tu le sais, on ne peut pas tout faire en 1 jour. Mon plan, c’est de continuer à bien produire du café, car avoir du bon café est le seul moyen pour moi de gagner de l’argent. Ensuite je verrais pour développer d’autres ressources, j’aimerais produire tout ce qui tourne autour du café. J’ai aussi pour projet d’ouvrir quelques chambres et de développer le tourisme autour du café. Mais d’abord, je dois penser au café, et continuer de progresser.