La Palma y El Tucan fête ses 10 ans

Située en Colombie dans la région de Cundinamarca, à 2h30 de voiture de Bogota, La Palma y El Tucan fête ses 10 ans cette année. Felipe Sardi s’est lancé dans l’aventure après une première expérience qui aurait bien pu le dissuader de retenter sa chance dans le monde du café de spécialité.

Aujourd’hui, sa ferme figure parmi les plus en vue. Ses cafés se boivent dans les coffee-shops les plus prestigieux, comme Substance Café. Ils s’achètent aussi chez les torréfacteurs de référence, comme April au Danemark, Gardelli en Italie ou Sumo Coffee Roasters en Irlande.

À l’occasion de l’anniversaire de La Palma y El Tucan, j’ai interviewé Felipe pour en savoir plus sur l’histoire de sa ferme. Nous avons aussi parlé des variétés qu’il cultive et de la fermentation lactique qu’il pratique pour proposer des cafés toujours plus dingues.

Salut Felipe, quelle est l’histoire de La Palma y El Tucan ?

J’ai quitté la Colombie à 19 ans, en 1998, pour étudier à la Nouvelle Orléans. J’ai d’abord travaillé dans une banque d’affaires, après avoir eu mon diplôme en management. Mais, je me suis lentement désintéressé de la finance. Alors, je me suis lancé en 2003 dans ma première aventure avec le café.

Avec mon oncle, Diego, on importait du café vert à Miami, en Floride. On a rapidement eu bonne réputation dans le pays, mais notre erreur a été de vouloir faire plus de volume, et d’explorer le café de commodité en plus du café de spécialité. On faisait venir des conteneurs entiers de cafés d’Amérique Central et d’Amérique du Sud. Ce modèle hybride a échoué lamentablement.

Je suis rentré en Colombie complètement fauché, mais avec l’envie de continuer à travailler dans le café, et uniquement du café de spécialité cette fois. En 2012, j’ai enfin eu assez d’argent pour investir dans une ferme et me lancer dans la production. Voilà comment est née La Palma y El Tucan.

Felipe, Palma y El Tucan

Pourquoi ce nom ?  

Quand on a pu acheter notre terre, on a fait venir un ami biologiste, pour analyser le sol. Il est aussi allé à la découverte de la faune et de la flore locale. On trouve chez nous deux espères rares, d’abord le Toucan émeraude et puis le Palmier à cire du Quindio. Le Toucan se nourrit principalement des fruits de ce dernier et les deux sont très liés. Après avoir mangé, le toucan répand ensuite les graines du palmier, ce qui permet de perpétuer l’espèce, et de continuer à ce que le toucan continue de manger.

Toutefois, ces deux espèces sont en danger, notamment à cause des plantations de café qui détruisent leur habitat naturel. Nous, à La Palma y El Tucan, on croit fermement que la nature est bien faite, et que nous devons faire de notre mieux pour que ces deux espèces puissent continuer de coexister encore longtemps ensemble, et même parmi les caféiers.

C’est pourquoi on travaille beaucoup à la reforestation de notre région, maintenir un haut niveau de biodiversité est très important pour produire de bons cafés.

C’est-ce qui vous différencie des autres plantations de café en Colombie ?

Notre histoire est assez différente, je crois… nous n’avons pas hérité d’une ferme familiale. On a lancé cette aventure avec ma femme Elisa, mon ami Carlos Arévalo, après avoir étudié et analysé ce que le marché du café de spécialité, les professionnels et les consommateurs de café de spécialité recherchaient.

On a ensuite cherché le meilleur endroit possible pour tenir les promesses que nous nous étions faites sur l’innovation, la qualité et surtout, la durabilité. La première année, afin de trouver l’endroit idéal pour commencer à produire notre café, on a visité au moins 100 fermes, dans plus de 10 régions productrices !

Que recherchiez-vous exactement ?

Il nous fallait une bonne combinaison entre l’altitude, la latitude, la météo et les bons écarts de températures entre le jour et la nuit. Après, on s’est intéressés au niveau d’ensoleillement, à l’ombrage naturel, à la qualité de l’eau environnante et à la santé des sols… Tout compte pour produire le meilleur café.

Faire de la qualité, c’est un défi. Il faut également ajouter le bon équipement, les infrastructures qui vont bien et les connaissances. C’est pour cela d’ailleurs que je suis parti pour Melbourne en 2017 afin d’étudier les sciences agricoles, à l’université. Là-bas, en Australie, j’ai aussi passé un certificat en permaculture, à l’Institut de Recherche et de Permaculture. C’est ce qui me permet aujourd’hui d’implanter beaucoup de nouvelles choses à la ferme.

Parlons-en, justement. Quelles variétés trouve-t-on à La Palma y El Tucan ?

Oh, on en a quelques-unes… D’abord, des geisha, que l’on connait pour leurs flaveurs incroyables. C’est vraiment les cafés stars de La Palma y El Tucan. On a aussi beaucoup de Pacas, des Pacamaras, du Java, des SL-28 que j’adore pour leur acidité bien juteuse. C’est vraiment une variété magique.

On a aussi beaucoup de plants de Sidra, grâce auxquels on a gagné plusieurs compétitions. Il s’agit d’un hybride entre le Typica et le Bourbon Rouge. C’est vraiment un parfait mix des deux, entre la douceur du Bourbon Rouge et l’acidité du Typica. Le Typica, c’est d’ailleurs ce qu’on trouve le plus chez nous, c’est un café qui devient incroyable grâce à nos méthodes de fermentations.

Comment sont traités les cafés à La Palma Y El Tucan ?

On peut faire tous les process possibles, mais principalement, le café est traité chez nous en naturel, ou honey. Et bien sûr avec différentes méthodes de fermentations. On travaille avec 5 à 6 process de fermentations différents chaque année.

Quand on a commencé à traiter nos récoltes à la station de lavage, on est tombés amoureux de la fermentation lactique et on a multiplié les tests. Il y a pour nous un potentiel énorme dans cette fermentation, pour innover et continuer d’expérimenter. 

Le souci de ces tests, c’est qu’on a gâché beaucoup de café pour apprendre, malheureusement. Si tu ne maîtrises pas bien ta fermentation, des champignons peuvent se développer, gâter le fruit et amener des flaveurs vraiment pas bonnes.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans la fermentation ?

On a doucement compris qu’à travers la fermentation, à vrai dire, on déclenche un phénomène d’acidification et de désintégration des sucres, avec la dissolution des molécules de pectines contenues dans le mucilage. Et, tout ça donne des résultats incroyables.

Quand on contrôle l’environnement dans lequel a lieu la fermentation, on peut moduler le résultat d’une fermentation à l’autre. En découvrant la fermentation, on a cherché à mieux comprendre les phénomènes qui influent sur le résultat final, et qui est le plus important : le goût du café.

Apprendre à contrôler les variables de la fermentation, ça a été une épiphanie pour nous. Ça nous permet d’avoir différents profils de cafés, ce qui comme producteur peut t’ouvrir des millions de portes auxquelles tu n’aurais jamais pu accéder autrement qu’à force d’expérimentation. On a tout simplement adoré découvrir la fermentation pour ces raisons !

Tu me parlais de fermentation lactique. Peux-tu m’expliquer ce que c’est ?

D’abord, la première chose à savoir est que pour cette fermentation, le café est d’abord lavé, et non séché selon le process naturel. Cela fait une très grande différence pour les différentes réactions qui vont avoir lieu durant la fermentation.

Cette fermentation des cafés a lieu dans un conteneur fermé, sans oxygène. Sans oxygène, l’acide lactique se développe avec la fermentation du mucilage restant sur les cafés, et on le retrouve ensuite dans la tasse, quand le café a séché, a été torréfié et bien préparé. Ce sont des recherches que l’on mène avec des universités ici, en Colombie.

L’acide lactique, c’est ce que tu retrouves dans un café quand tu as l’impression qu’il “pétille”, mais avec une sensation crémeuse, comme une bonne glace aux fruits rouges. Quand on réalise une fermentation lactique, c’est ce que l’on recherche : un café très doux, crémeux, mais avec assez d’acidité pour apporter de la brillance à la tasse.

Pour avoir des résultats différents, avec cette méthode, tu peux laisser les cerises plus ou moins longtemps dans le conteneur, ou encore les faire sécher ensuite à l’air libre, comme un café naturel. Les possibilités sont infinies !

Quelles relations entretenez-vous avec les producteurs autour de La Palma ?

On est à l’origine d’un projet que l’on appelle “Neighbors & Crop”. L’idée, c’est d’accompagner et aider les petits producteurs autour de La Palma y El Tucan à produire de meilleurs cafés, tout en prenant soin de notre environnement.

Il y a plus d’une centaine de familles qui vit du café autour de notre ferme, dans un rayon de 10 km max. Et, c’est grâce à eux que La Palma y El Tucan est ce qu’elle est aujourd’hui. On les aide au niveau agronomique, mais également en fournissant la main d’œuvre nécessaire pour le picking des cerises et le transport jusque chez nous. Une fois arrivés, on achète les cafés bien souvent le double du prix qu’aurait payé la Fédération Nationale des Cafeteros, qui regroupe les producteurs de cafés colombiens plus traditionnels.

Nous, on s’occupe du process et du marketing, et eux, les producteurs, n’ont qu’à s’occuper de ce qu’ils savent faire le mieux : faire pousser des cafés exceptionnels !