En 2012, quand Patrik Rolf découvre le café de spécialité, il est à la plonge chez da Matteo, un coffee-shop de Göteborg, en Suède, en même temps qu’il participe à ses premières compétitions. Ce n’est que 4 ans plus tard qu’il fonde April, sa propre torréfaction.
10 ans après ses débuts, donc, Patrik Rolf s’apprête à sortir son 1ᵉʳ livre, « From Nerd to Professional ». Il y partage son parcours et son expérience. Une plongée dans les coulisses de l’industrie du café de spécialité, ou comment une passion s’est transformée en carrière.
Est-ce que les geeks du café font de meilleurs pros ?
Non, ce n’est pas ce que je dirais. Pour moi, c’est même sûrement le contraire d’ailleurs, parce que beaucoup de coffee nerds manquent de perspective. Ils s’embourbent dans leurs convictions.
Ce dont tu as besoin, pour devenir pro, c’est de t’ouvrir et d’être toujours prêt à apprendre de nouvelles choses, à développer de nouveaux points de vue sur ton métier.
C’est pour cette raison que j’encourage tout le monde à se lancer dans la compétition. C’est dans les compétitions que tu développes tes connaissances, que tu apprends au contact des autres.
10 ans après tes débuts, que dirais-tu au Patrik Rolf de 2012 ?
La première chose, ce serait d’écouter Matts, le fondateur du coffee-shop da Matteo, à Göteborg, là où j’ai commencé ma carrière.
Ensuite, mon deuxième conseil serait de ne pas regarder de travers le travail des autres, tout comme leur manière d’aborder le café. Qu’il s’agisse de style de torréfaction, de manière de préparer un café ou de choisir telle ou telle origine, il y a une place pour tout monde. Rien ne t’empêche d’avoir une approche très personnelle et de respecter le travail des autres.
Aujourd’hui encore, par exemple, je continue à goûter des robustas, tous les ans. Ce n’est jamais bon, mais je les goûte et je les respecte. J’ai une idée très précise de comment un café doit goûter, mais aujourd’hui je ne prends plus personne de haut, même si ça ne correspond pas à ma vision des choses.
Enfin, je lui dirais aussi de travailler plus intelligemment. Je lui dirais que cette industrie du café de spécialité est encore jeune, et que personne ne sait vraiment ce qu’il fait. Je pense que c’est encore le cas aujourd’hui. En tout cas, en 2012, la marche à monter pour atteindre mon rêve n’était pas si grande que ça. Alors, go for it !
Comment es-tu tombé amoureux du café de spécialité ?
C’est très certainement à cause de Matts, dont je parlais juste avant. À l’époque, j’étais dans une quête d’appartenance, je voulais être entouré d’un groupe de gens avec qui je pourrais bien fitter. J’ai pensé que je trouverais beaucoup de personnes comme Matts dans l’industrie du café, ce qui ne s’est pas révélé tout à fait vrai, mais ça m’a lancé.
Aussi, je n’ai pas eu que de bonnes idées, comme avoir commencé à faire des compétitions avant même d’avoir mon premier job. Mais cet aspect du café, le monde de la compétition, m’a fasciné. Et c’est pour cette raison, je dirais, que j’ai commencé à travailler dans le café et à aimer le café, parce que je trouvais ça difficile et plein de challenges. Ça a piqué ma curiosité et m’a motivé.
Est-ce que tu avais une idée claire de ce que devait être April à tes débuts ?
Oui, et c’est toujours la même. April doit s’évertuer à être la meilleure torréfaction du Monde. Je ne dis pas qu’on l’est. Mais c’est ce à quoi on travaille tous les jours. On ne prête pas tellement attention à ce que fait l’industrie du café de spécialité, à ses nouveautés, même si on a bien sûr beaucoup de respect pour elle. April, ça doit d’abord être notre propre truc.
Qui étaient tes héros et tes sources d’inspirations quand tu as fondé April ?
Ma principale source d’inspiration pour April a toujours été Dave Tate de Elite Fts aux Etats-Unis. C’est vraiment un de mes héros. J’ai aussi toujours été fasciné par l’histoire de Nike, et je dois lire le livre Shoe Dog de Phil Knight, le créateur de la marque, au moins une fois par mois.
Avec April, tu partages énormément de contenus sur le web. Pourquoi est-ce important pour toi ?
De mon point de vue, n’importe quelle entreprise de n’importe quelle industrie est dépendante des autres membres de cette même industrie. Alors si l’industrie dans son ensemble ne progresse pas, ton entreprise seule aura beaucoup de mal à faire de même.
Quand tu démarres une entreprise, tu as une responsabilité non seulement pour ton propre business, mais aussi pour le domaine dans lequel tu t’inscris. Tu dois participer à le rendre meilleur. Et donc, pourquoi je partage beaucoup de contenus ? Pour que l’industrie progresse et qu’April continue de progresser.
Pendant la pandémie de Covid-19, tu as publié des podcasts, avec d’autres pros, et tu en as profité pour écrire ton livre. Qu’est-ce qui a été le plus enrichissant ?
J’avais l’impression que la plupart d’entre nous vivaient des expériences assez similaires. Toutes les torréfactions connaissaient une baisse d’activité en B2B, puisque les restaurants étaient fermés, mais aussi une hausse très nette de nouveaux clients, consommateurs comme toi et moi.
J’avais simplement espoir que ceux qui écoutent le podcast aient le sentiment d’être moins seuls. Dans ce genre de moment, on est tous dans le même bateau, et il faut rester inspiré, quelle que soit la manière, pour être prêt à se sortir de n’importe quelle situation.
Est-ce que tu as parfois le sentiment, 10 ans après, de devoir être plus responsable que les autres du futur du café de spécialité ?
Je pense que les gens que je connais, ou auxquels je m’intéresse depuis mes débuts, seraient d’accord pour dire que mon approche n’a jamais trop changé avec le temps. Je traite le café de spécialité et les gens autour de moi de la même manière que depuis mon 1er job à la plonge chez da Matteo.
Ensuite, je ne sais pas vraiment de quelle manière les autres se sentent responsables, mais tout ce que je sais, c’est que si je devais quitter l’industrie du café aujourd’hui, je ne serais pas très heureux ou satisfait de son état. Il y a encore énormément de travail pour être satisfait, et sur tous les aspects de cette industrie du café de spécialité.
Et en ce qui te concerne, es-tu satisfait de ce que tu as déjà accompli ?
C’est une question difficile. Je ne suis ni dans le passé, ni dans le futur. Je me concentre sur tout ce que j’ai à faire aujourd’hui et qui se trouve devant moi, aujourd’hui. Partant de là, tu peux être certain qu’il y a encore beaucoup, beaucoup de travail avant que je puisse te dire que je suis satisfait.
Comme pour n’importe quelle industrie, celle du café de spécialité connaît des cycles, et j’ai aussi souvent le sentiment d’être de retour à mes débuts, comme si je n’avais jamais réellement progressé.
À quoi voudrais-tu que les 10 prochaines années ressemblent pour April ?
On doit continuer à s’améliorer, pour gagner un championnat et continuer à ne faire aucun compromis pour la qualité. Rien que cette année, on va faire quelques moves intéressants, comme déménager notre torréfaction et fermer notre shop actuel, pour démarrer April, nouvelle génération.