Meilleur Ouvrier de France en 2018, Paul Arnephy a remporté la 1ʳᵉ place du Championnat de France de torréfaction organisé par la SCA lors du dernier Paris Coffee Show 2022. Torréfacteur historique de Café Lomi, qu’il vient de quitter, Paul s’apprête à se lancer comme consultant en café.
Depuis la Drôme, où il habite, Paul nous donne son avis sur la torréfaction française et ce qu’est, pour lui, un bon café.
Pourquoi t’être lancé dans le Championnat de France de torréfaction cette année ?
Faire un concours comme celui-là, j’ai toujours vu ça comme un compromis sur le boulot. Mais cette année, comme j’ai quitté Lomi, j’avais plus de temps et je voulais vraiment pouvoir échanger avec d’autres torréfacteurs.
Pendant longtemps, je suis resté dans ma bulle, loin de tout ce qui se passe dans le milieu du café et de la torréfaction.
Comment l’as-tu abordé ?
En réalité, je n’ai fait aucune préparation spécifique. Il n’y a que quelques secondes qui comptent dans la torréfaction, et gagner un concours comme celui-là, c’est aussi beaucoup de chance.
Le truc le plus important, c’est le geste, c’est chercher à être le meilleur tous les jours. Je vois ce concours comme une expression de ce que tu fais au quotidien. Ça me fait plaisir de gagner, mais il faut passer rapidement à autre chose. C’était pareil pour le M.O.F, j’en ai bien profité une semaine et je suis passé à autre chose.
Que je gagne ou pas, je dois retourner torréfier au quotidien, je reste la même personne qu’avant le concours. Le geste du torréfacteur est d’être à la hauteur de ce qu’attendent ses clients. C’est une amélioration permanente, et ça ne se joue pas sur 3 jours de compétition.
Quelle a été l’épreuve la plus difficile, entre le single et le blend ?
J’ai peut-être fait 30 000 batches dans ma vie, mais ce single origin, c’était un café bizarre. Je n’avais jamais torréfié un café du Brésil comme celui-là, un café très humide qui réagit comme s’il ne l’était pas.
C’est un café avec lequel tu peux passer ta vie à chercher, sans jamais être vraiment satisfait.
Pour ma part, la clé du torréfacteur, c’est le café vert. Si le torréfacteur sait faire ce choix, le travail de torréfaction est beaucoup plus simple. La torréfaction est plus difficile à rater si le café est de qualité !
Comment choisir un bon café vert ?
Le choix du café est très lié à la philosophie du torréfacteur. Tu peux choisir en fonction du profil de goût, mais aussi aller au-delà du cupping score.
Si le meilleur café est celui qui a le meilleur cupping score, tu exclus beaucoup de cafés avec des goûts chocolat, de noix. Pour moi, il y a des cafés exceptionnels avec ces goûts, ils sont même très recherchés par les clients qui n’ont pas toujours envie d’une tasse fruitée.
Du coup, le choix du café vert doit être bien réfléchi. Soit tu torréfies comme tu penses que cela doit être fait, et tu espères avoir assez de clients OK avec ta manière de faire. Ou alors, tu choisis de torréfier des cafés qui plaisent aux gens. C’est une autre approche d’achat du café vert.
Quel que soit le profil, il y a des choses essentielles : le café doit être récolté au même stade de maturité, être bien séché ou bien fermenté, avec de l’homogénéité, sans défaut. Ça, c’est la qualité, et c’est différent du cupping score.
Qu’est-ce qu’un « bon goût », pour toi ?
Tout m’intéresse, tant que je retrouve une belle structure en tasse, avec des arômes qui vont bien ensemble, une acidité qui améliore la perception des notes plutôt que de les dominer.
Un bon café se rapproche d’un fruit bien mûr, comme un abricot par exemple. Quand un abricot est mûr, c’est bien structuré, équilibré. S’il est un peu trop vert, l’acidité domine, s’il est trop mûr, c’est les notes fermentées. J’aime les cafés sweets et équilibrés.
Trouver l’équilibre, c’est la difficulté d’un blend, l’autre épreuve du Championnat de France ?
Le blend, c’est l’épreuve la plus intéressante. Cette année, les cafés verts étaient vraiment différents entre eux. Comme si, au lieu d’avoir à faire une glace chocolat, vanille et fraise, tu devais la construire avec du chocolat, du pamplemousse et un ananas. C’est pas forcément le choix que tu fais à la base..
Je comprends l’approche du torréfacteur pour qui le fermier a tellement bossé qu’il est dommage de mélanger ce café à un autre, pour lequel le fermier a lui aussi beaucoup travaillé.
Mais tu peux créer des belles choses avec un blend, c’est une réflexion profonde sur le choix des cafés, sur la torréfaction et sur l’extraction. Et au Championnat, c’est imposé, tout le monde est au même niveau et à partir de là, c’est ta créativité qui s’exprime
Comment vois-tu le potentiel de la torréfaction française ?
Toutes les personnes qui étaient au concours avaient un très bon niveau. Le potentiel du café de spécialité en France est énorme. Dans la culture française, une chose est acceptée seulement quand elle est très bonne. Je suis sûr que dans quelques années, la France sera un phare dans le café de spécialité.
En Australie, il y a une culture du lait, et dans laquelle la qualité du café est moins importante. Si tu prends un café sans lait, ce n’est pas toujours très bon, les torréfactions sont plus foncées pour être bues avec du lait.
En France, on ne boit pas beaucoup de lait. Si tu es torréfacteur, tu es obligé d’acheter un bon café vert, qui doit être bon sans lait. En France, t’es nu, exposé à la qualité du café vert et à la qualité de ta torréfaction.
Tu penses avoir un style particulier de torréfaction ?
Je ne sais pas, je sais que je n’aime pas les cafés sous-développés, j’adore les torréfactions faites pour l’extraction.
Il y a beaucoup de cafés galères à extraire. Un bon café, ça doit être une évidence. Trop souvent, on dit qu’il faut éduquer le client à aimer une acidité puissante.
On doit plutôt arriver au point où le café est évident : une torréfaction légère, transparente, pour donner une tasse structurée, avec des arômes présents et un bon équilibre. Le paradis du café noir !