Expert mondial des forêts primaires, qu’il a observé à terre comme par-dessus la canopée grâce au « Radeau des Cimes », le botaniste Francis Hallé a bien voulu répondre à nos questions sur les caféiers. Un honneur.
À la fin des années soixante, Francis Hallé part en Éthiopie et découvre cette plante de sous-bois dans son milieu naturel, dans la région de Kaffa.
Si la plante est loin de lui avoir laissé un souvenir impérissable, il n’en reste pas moins que ses connaissances et son avis comptent beaucoup à son sujet.
Notamment, lorsqu’il s’agit de nous dire où le café devrait pousser, et dans quelles conditions devrait-il être cultivé.
En 1966, vous êtes allé en Éthiopie pour étudier le caféier Arabica. Était-ce dans le cadre d’une étude des forêts primaires ?
En Éthiopie, il y a de magnifiques forêts, mais je n’ai pas vu de forêt primaire. Une forêt primaire, c’est une forêt qui n’a jamais été abîmée par l’Homme. Ou, si elle l’a été, alors c’était il y a suffisamment longtemps pour que le caractère primaire ait pu réapparaître. Mais, ça, c’est très, très long. Ça se compte en siècles.
Dans quelles forêts le café est-il donc cultivé en Éthiopie ?
Dans des forêts secondaires, ce qui n’empêche pas le café d’être magnifique ! Là-bas, on trouve du café partout. C’est bien connu, l’Éthiopie est le site originel des cafés.
Nous sommes allés dans l’État de Kaffa, où nous étions sûrs d’en trouver. Cependant, je dois bien vous avouer que, même si je bois du café, le caféier est pour moi une petite plante de sous-bois très banale.
Mais, ça m’intéressait beaucoup de le voir dans la nature, et c’est un souvenir magnifique. Quand l’Institut français du Café m’a offert le voyage, j’ai tout de suite accepté.
Quel a été la découverte la plus intéressante pour vous, au sujet du caféier ?
D’abord, ce qui m’intéressait, c’était de voir le caféier dans la nature, mais aussi de voir à quelle amplitude d’altitude le café pousse.
Et, j’ai été surpris de constater que le café Arabica n’avait pas tant besoin que ça d’altitude. Quelques centaines de mètres suffisent, quand on pensait que le caféier était surtout une plante de montagne.
Peu importe donc l’altitude, cependant la forêt reste importante ?
On peut très bien faire pousser du café en plein soleil. Le café va pousser plus vite, fleurir plus vite et produire plus vite, mais il va aussi vivre très peu de temps.
Une situation comme on l’observe dans les plantations brésiliennes, c’est antagoniste avec la durée de vie du caféier.
Dans ces conditions, produire du café devient un très gros effort pour l’arbre, et c’est pour cela que les caféiers ne deviennent jamais très grands.
Tandis que si on le laisse dans les sous-bois, en forêt, le caféier devient un petit arbre. Ce n’est jamais un arbre gigantesque, 10 m tout au plus, mais c’est toujours plus qu’en plein soleil.
C’est pourquoi je pense qu’il est préférable de le laisser à l’ombre d’une forêt. Le caféier est une plante de sous-bois. Si on veut qu’il se porte bien, alors il faut le cultiver en sous-bois.
Quelles relations le caféier entretient-il avec les autres arbres de la forêt ?
C’est pour moi très difficile de répondre à cette question. Ce qui est sûr, c’est que le caféier a besoin de l’ombre des autres arbres.
Ce n’est probablement pas tout, mais alors pour étudier les relations entre les caféiers et les arbres autour, il faudrait vivre plusieurs années à leur côté et je n’ai pas eu cette chance.
Quelle est la particularité du caféier ?
Sur le plan architectural qui est ma spécialité, le caféier est un modèle de Roux comme il en existe des milliers.
C’est-à-dire que le caféier a un tronc vertical et des branches horizontales, équidistantes les unes des autres. C’est sur ces branches que se passe la sexualité de l’arbre, et c’est là que poussent les cerises de café que l’on récolte.
Le café venant d’Éthiopie, les forêts du pays ont-elles quelque chose que les autres n’ont pas ?
Toutes les forêts ont leur spécificité. Ce qui m’a le plus frappé dans les forêts éthiopiennes, ce sont les gigantesques euphorbes de 40 m de haut que l’on y trouve. Je n’avais jamais vu ça.
Après, on y trouve des caféiers Arabica, comme on trouve des caféiers Robusta en Afrique de l’Ouest. Toutes les plantes ont une origine, sans toutefois que l’on puisse expliquer pourquoi.
Sur le plan écologique, les forêts tropicales humides, les forêts proches de l’Équateur, sont tout de même les plus intéressantes. C’est dans ces forêts que se trouve la plus grande biodiversité.
D’ailleurs, la culture du café sous forêt menace-t-elle cette biodiversité ?
Tant que l’on ne touche pas aux arbres et que l’on se contente de récolter leurs fruits, alors ce n’est pas une exploitation de la forêt comme telle. Exploiter la forêt, c’est couper les arbres.
En Éthiopie, on trouve beaucoup de café cultivé en agroforesterie. C’est aussi le cas en Indonésie. J’ai en tête des exemples de forêts à Sumatra où l’on produit du café et du cacao.
Eh bien, de manière générale, c’est un excellent système, à la fois en tant que forêt et comme entreprise agronomique. Je suis très, très en faveur de l’agroforesterie pour compenser la perte des forêts primaires.
Quel est l’impact de l’Homme sur la disparition des forêts primaires ?
Nous en sommes les seuls responsables. Une forêt primaire peut disparaître par des coups de vent trop forts et trop répétés. Mais, ce sont des détails. C’est l’Homme qui rend les forêts secondaires, car avant toute forêt secondaire, il y a bien une forêt primaire.
Ces forêts caféières dont on parle restent cependant très riches, car elles sont proches de l’Équateur et en montagne.
Ce qui m’ennuie, c’est que perdre les forêts primaires, quand la forêt est exploitée et qu’on a coupé les arbres, c’est perdre une très grande partie de la biodiversité, animale et végétale.
Et, lorsque c’est perdu, eh bien, c’est perdu bien avant qu’il y ait des naturalistes pour s’en occuper. On ne saura jamais ce qui a été perdu.
Aujourd’hui, avec la perte des forêts primaires et probablement de variétés inconnues, l’avenir du café est-il menacé ?
Ce qui est sûr, c’est que plus le stock de Coffea Arabica est grand, plus il a d’avenir. Le problème se posera quand il n’en restera que quelques-uns, car pour assurer l’avenir d’une plante, ce sont les populations qui sont importantes.
S’il est impossible de nier que l’espèce a diminué de surface, on n’a aucunement perdu les caractéristiques génétiques de l’espèce Coffea Arabica. Et, je n’imagine pas, par exemple, un Éthiopien détruire ses caféiers. C’est une plante dont il a le plus grand besoin.
Le fait qu’il en existe des milliers et qu’on en ait plantés partout dans le Monde fait qu’il y a toujours des caféiers pour retrouver l’intégralité du génome de cette plante.
Partout où il a été planté, le café a gardé ses caractéristiques. C’est possible que le goût soit différent, en fonction du sol et du climat. J’imagine que vous pouvez facilement faire la différence entre un café arabica cultivé en Éthiopie, et un autre cultivé au Brésil. Mais, les gènes, eux, restent les mêmes.
Une chose m’intrigue cependant, c’est que l’on se soit focalisés sur le genre Coffea.
C’est-à-dire ?
Le caféier appartient à la famille des Rubiacées, qui est une famille gigantesque avec des milliers d’espèces. Nous nous sommes aperçus que récoler les graines de cet arbre, les faire griller, les moudre et en faire une décoction donnait un résultat très agréable.
Mais, on n’a jamais fait cette même investigation pour les autres espèces de Rubiacées.
Je me demande si l’on ne vit pas sur une ressource découverte par hasard dans une collection formidable d’autres plantes. Beaucoup de Rubiacées ont des fruits charnus, rouges, comme des fruits de caféier, sans que l’on ait essayé de les préparer. De la même manière que l’on n’utilise pas toutes les espèces de caféiers, alors que le fruit est le même.