Hippolyte Courty : "Café", deuxième édition Hippolyte Courty : "Café", deuxième édition

Hippolyte Courty : « Café », deuxième édition

Hippolyte Courty, fondateur de L’Arbre à Café et auteur du livre « Café », nous parle de l’évolution du café de spécialité, de sa vision de la dégustation et de son engagement dans la production durable avec sa ferme Mariposa au Pérou. À l’occasion de la sortie de la seconde édition de son livre, il partage ses réflexions sur les tendances actuelles et futures du monde du café.

Qu’est-ce qui a changé dans le café de spécialité, entre la première édition de Café en 2015 et aujourd’hui ?

Tous les domaines ont évolué vers plus d’expertise, de connaissance et de formation. Pour cette nouvelle édition, je me suis concentré sur trois axes principaux : la fermentation, la torréfaction et la préparation avec le métier de barista qui s’est considérablement approfondi. C’est d’ailleurs le premier domaine qui a bénéficié de l’open source et des formations, créant cette dynamique incroyable qui définit le café de spécialité aujourd’hui.

Il y a également un aspect agricole qui représente, selon moi, la prochaine révolution du monde du café, encore silencieuse. Ce que nous annoncions il y a douze ans en fondant L’Arbre à Café est en train de se réaliser.

En termes de botanique et de connaissance du goût, les progrès sont évidents. J’ai fait intervenir Gabriel Lepousez, neuroscientifique de l’Institut Pasteur, spécialiste du goût et de la façon de décrire les cafés.

Au niveau des consommateurs, as-tu vu des changements opérer entre les deux éditions ?

Nous sommes témoins d’un élargissement de cette niche qu’est le café de spécialité. Différentes stratégies coexistent : certains utilisent les codes du café de spécialité tout en commercialisant un produit plus accessible pour attirer le consommateur lambda. À l’opposé, les ultra-experts radicalisent la niche, élèvent l’ambition et montrent des voies plus exigeantes.

Les coffee shops ont explosé en nombre mais aussi en volume. Avant, on comptait sur les doigts d’une main ceux qui passaient plusieurs kilos par jour. Aujourd’hui, c’est devenu la norme. Les particuliers sont plus ouverts, recherchant l’expérience du grain et des histoires derrière leur café.

Où places-tu L’Arbre à Café entre ces deux positionnements ?

Notre promesse est de proposer le café de demain, dès aujourd’hui. Nous sommes des experts qui veulent démocratiser le café de spécialité, seule façon de faire avancer les choses. Notre vision est singulière : un café très engagé dans l’émotion gustative, que l’on va aimer ou non, avec des engagements humains et environnementaux forts. Pour nous, le goût ne peut naître que de ces engagements.

Nous sommes aussi les seuls à maîtriser toute la chaîne de valeur, depuis notre ferme Mariposa au Pérou jusqu’aux services, dans une expertise que nous espérons la plus attractive possible.

Vois-tu arriver des personnes pour qui cet engagement est plus important que l’expérience café ?

Toutes les études marketing montrent que le bio ne suffit pas à vendre. On le constate avec les difficultés actuelles des réseaux bio. Mais ma conviction est que ce sera une évidence pour tous dans les prochaines années.

Des consommateurs vont choisir sur ces critères, et c’est génial, mais l’engagement seul ne suffit pas. Ce qu’on recherche d’abord, c’est une expérience gustative. Si on ne veut que de la caféine, on va à la machine automatique. Mais si on cherche du goût authentique, une démarche, et à changer le monde de la caféiculture, on vient à L’Arbre à Café.

On parle de dégustation, et c’est la partie qui ouvre le livre. Quelle est ta vision de la dégustation de café ?

Pierre Bourdieu disait que le jugement de goût est le jugement le plus fort. Venant du monde du vin, je constate combien poser des mots sur le goût peut faire peur.

J’ai commencé par la dégustation car c’est ce que l’on a en bouche qui compte avant tout. Notre promesse est que c’est bon pour le palais, la planète et les gens. L’enjeu est d’amener les gens vers le bon en douceur, en vulgarisant dans le bon sens du terme.

Le vin est un bon modèle, avec des sommeliers devenus plus décontractés. Le mouvement du vin naturel représente une génération qui s’empare du produit pour le rendre plus récréatif. C’est ce qui arrive aujourd’hui dans le café.

À L’Arbre à Café, nous mettons peu en avant les notes de dégustation. Une note est utile pour l’acheteur ou dans un concours, mais je peux aimer un café de 82 points simplement parce que j’ai envie de douceur. Personne ne prend plaisir en buvant un vin en pensant à sa note. L’hédonisme compte, et nous devons offrir une garantie de qualité objective dans cet hédonisme.

Mais, alors, qu’est-ce que la dégustation pour toi ?

C’est l’écoute de soi-même, de ses sensations au sens large. En s’écoutant, on découvre ce qu’on aime et on se crée un chemin. La difficulté dans les pays latins vient d’une consommation encore majoritairement espresso, intense, qui laisse peu de temps à cette écoute.

Tu écris dans le livre que le futur, ce sont les méthodes douces.

Le café se donne plus à lire en extraction douce qu’en espresso. On est dans une dilution plus importante et une dégustation qui revient à plusieurs reprises, laissant le temps de l’écoute et de jouer avec les températures.

Il est plus facile de faire un filtre décent qu’un bon espresso, et l’investissement n’est pas le même. À domicile, l’avenir est plutôt à l’extraction douce, mais l’espresso reste un grand plaisir. Des machines comme celles de Sage permettent d’avoir des espressos de qualité à la maison.

Il y a une méthode de préparation dont tu parles souvent, c’est l’infusion. Pourquoi ?

Il faut se demander pourquoi les professionnels travaillent en infusion. Elle permet une stabilité, une régularité dans l’expérience, et donc de goûter le café au-delà des contingences de la préparation.

Quand on parle d’extraction douce et de café de spécialité, on crée rapidement des barrières. L’infusion permet de goûter des cafés simplement, dans une expérience simple mais véridique, comme on l’utilise en cupping.

Est-ce que cela te permet aussi de placer le produit au plus proche de son aspect agricole ?

L’aspect agricole est l’une des solutions au dérèglement climatique et à l’effondrement de la biodiversité. L’agriculture en est l’une des premières responsables. Quand on consomme un aliment produit en monoculture intensive, on participe à ce phénomène.

Le terme « café de spécialité » facilite les choses, mais il y a aussi des scandales financiers et du glyphosate dans ce segment, principalement chez les meilleurs planteurs. Le bio a mauvaise image chez beaucoup de planteurs parce qu’il ne permettrait pas de faire de la qualité. La Cup of Excellence montre exactement le contraire.

À L’Arbre à Café, nous proposons un goût connecté non pas à la technologie, mais aux émotions, à la terre, parce que le café est un produit avant tout agricole.

Est-ce que se lancer dans la production de café avec la ferme Mariposa au Pérou est une suite logique à cette démarche ?

Cela faisait partie de notre stratégie de départ : mettre en avant un produit agricole de qualité, c’est-à-dire un terroir, une variété, et surtout une culture incarnée par un homme avec ses pratiques.

Au début de L’Arbre à Café, nous étions à l’époque des pionniers de la cuisine moléculaire, avec des œnologues qui prétendaient pouvoir faire n’importe quel vin avec n’importe quel raisin. Je crois exactement le contraire. Tout commence par l’agriculture et par la vision que tu as du monde.

Nous sommes aujourd’hui dans cette exaltation biochimique du café, avec les process expérimentaux. Mais cette tendance va s’assagir. Jamison Savage, qui fait toutes les fermentations imaginables, préfère lui-même le café lavé.

L’idée était aussi la maîtrise de la chaîne de valeur. On parle beaucoup de transparence dans le café de spécialité, mais c’est compliqué car le café passe de main en main. Nous avons voulu raconter l’histoire depuis le début et permettre au consommateur de goûter le café d’un producteur. Nous sommes davantage dans le « tree to bar », comme l’a fait Claudio Corallo pour le chocolat à São Tomé.

Comment fonctionne la gestion d’une ferme à l’autre bout de la planète ?

Par la confiance, l’autonomie et la compétence. Notre équipe est menée par Hector, un agronome spécialiste de la biodynamie qui était l’un de nos producteurs depuis huit ans.

Avec lui, nous expérimentons une agroécologie poussée. Nous avons planté douze variétés de café, une quarantaine d’espèces d’ombrages et des cultures complémentaires qui enrichissent la biodiversité.

Nous sommes labellisés Demeter à Mariposa, en biodynamie et en agroforesterie, dans une zone qui n’était pas la meilleure pour le café. La réussite dépasse nos attentes, et nous présenterons bientôt nos premiers lots.

Quand on va sur le site internet, les deux premières choses que l’on voit sont « Producteur » et « Torréfacteur ». Si Mariposa n’est pas forcément la suite logique de L’Arbre à Café, est-ce qu’elle en est le point d’orgue ?

La mission de L’Arbre à Café est de considérer le café comme un produit d’exception avant tout agricole. L’agriculture d’aujourd’hui doit être régénératrice, créer de l’humus et de la biodiversité. Elle doit assurer aux producteurs le bonheur, le sens de se lever le matin.

À Mariposa, nous obtenons des rendements supérieurs à ceux de la région, tout en étant en biodynamie. Notre mission est de montrer que c’est possible, mais surtout de faire goûter.

Pour finir, que représente la sortie de cette seconde édition de Café dans cette mission ?

L’objectif était double. La bibliographie du café comprend soit des livres très généralistes, soit des ouvrages ultraspécialisés pour les experts. Entre les deux, je n’en connaissais pas.

J’avais à cœur de proposer une somme accessible, dynamique, qu’on peut lire cinq minutes ou trois jours, et qui présente notre vision du café. Car sinon, ça ne sert à rien d’écrire si c’est juste pour dire que le café de spécialité est fantastique.