Sumo Coffee, futur poids lourd du café de spécialité ?

Daniel Horbat a fondé la torréfaction de café de spécialité Sumo Coffee en 2020, un an après être devenu le Champion du Monde Cup Tasters, à Berlin. Son idée ? Proposer un catalogue de cafés aussi surprenant qu’éthique avec la volonté de mettre en avant l’histoire du producteur derrière chaque grain torréfié.

Rien d’étonnant, me direz-vous ? Nous avons parlé pendant plus d’une heure de ses goûts, de ce qu’il voudrait transmettre à travers Sumo, de process et de son parcours aux Championnats du Monde Cup Tasters. Vous découvrirez sans doute son truc en plus à la lecture de cette interview : une passion et une détermination à toute épreuve.

Pourquoi avoir appelé ta torréfaction Sumo Coffee ?

Je suis né en Roumanie, pendant la dictature communiste. La télé était en noir et blanc, et on n’y voyait que le Président Ceaușescu, 24h sur 24, jusqu’à la Révolution. Après celle-ci, on a eu le câble à la maison et j’ai découvert le catch avec la WWE (World Wrestling Entertainment, ndlr). Le personnage du sumo Akebono me fascinait par son poids.

En grandissant, j’ai fait beaucoup d’arts martiaux, du karaté et du judo, et je me suis aussi intéressé à la tradition des sumotoris, à leur entraînement pour réussir dans ce sport. Tu sais, leur régime, le fait qu’ils ne font que dormir, manger et s’entraîner. C’est un mode de vie fait de sacrifices, tu dois avoir une discipline. Et un sumo doit être malin, il n’utilise pas que son poids pour pousser son adversaire, il utilise aussi son intelligence pour éviter les prises, je trouve ça intéressant.

C’est l’approche que tu as avec la torréfaction ? 

Oui, parce qu’aujourd’hui si tu démarres avec peu d’argent, comme moi, tu dois être malin. Pour ne rien te cacher, mon torréfacteur devrait seulement arriver dans quelques semaines, toutes les livraisons ont pris du retard. Alors aujourd’hui, je torréfie sur un torréfacteur à samples. Je ne le cache pas parce que ça fait partie de l’aventure de Sumo Coffee. Torréfier 250g me prend 1h et pour le moment tout ce que j’ai torréfié m’a plu, alors pourquoi pas ? 

Qu’est-ce que tu cherches à transmettre avec les cafés que tu choisis ? 

Je veux que ce soit surprenant, et que ce soit bon. Quand je goûte un café je ne me concentre que sur la qualité de ce que j’ai dans la tasse, et ce que le café raconte. Prenons par exemple mon café du Brésil, le Yellow Caparao de la ferme Encanto do Paraiso. Avant ce café, Andressa Amaral da Silva ne produisait que du café pour le commerce. Ce Yellow Caparao, ce n’était pas le meilleur Brésil sur la table, mais l’histoire que ce café raconte m’intéresse, j’aime l’idée de travailler avec une productrice qui se met au café de spécialité. 

Il y a aussi un truc avec ce café, c’est la variété Yellow Caparao. Pour moi c’était fou, quand j’étais au Brésil tous les coffee shop avaient ces cafés uniques, ces variétés dont je n’avais jamais entendu parler et je me demandais pourquoi on ne les avait pas en Europe ? Généralement avec le café, tout ce qui est bon part à l’étranger. 

Tu as toujours attaché de l’importance aux origines des cafés que tu bois ?

Oui, mais j’ai vraiment commencé à m’y intéresser quand je suis allé au Brésil pour la première fois, en 2018 pour le Championnat Cup Tasters. C’était la deuxième fois que je participais à ce championnat, et j’étais à deux doigts de me qualifier pour les demi-finales. J’étais pas dans un super mood après avoir perdu, mais on a quand même pris 2 semaines pour voyager avec ma copine. Je voulais qu’on prenne du bon temps.

On est allés en Colombie, et ça a changé ma vision du café. D’abord, j’ai commencé par perdre mes affaires à l’aéroport. Et puis quand j’ai voulu acheter des bottes pour aller dans la jungle, ma carte de crédit s’est bloquée. Donc je me suis retrouvé dans les plantations, à la Finca La Cristalina, en pleine jungle, sans internet ni batterie pour recharger mon téléphone, sans argent et sans vêtements.

J’y ai rencontré énormément de gens chaleureux, qui m’ont traité comme un des leurs, et ça m’a fait prendre beaucoup de recul. C’était la période de mon anniversaire, et les propriétaires de la ferme m’ont fait un gâteau pour fêter ça. Surtout, ce qui m’a marqué, c’est que je n’ai jamais rien entendu de négatif sortir de leur bouche.

Quand tu fais un parallèle avec nos vies en Europe, tu te rends compte qu’on a tendance à se plaindre pour rien. Après ce voyage j’ai arrêté de chercher le job parfait et j’ai voulu me concentrer uniquement sur ce que j’avais envie de faire. C’est pour cela que sur le site de Sumo, tu as beaucoup d’informations sur les producteurs, comme ceux de La Palma y El Tucan où je suis allé en 2019, pour leur rendre hommage. 

Qu’est-ce qui rend le café de La Palma y El Tucan si spécial ?

Ils sont ultra focus sur la durabilité, et rendent autant à la communauté qu’à l’environnement. Pour moi, ce qu’ils font est assez unique en Colombie, en donnant aux producteurs la garantie d’être payés, en s’occupant eux-même du picking et du process. Bien sûr, les producteurs doivent prendre soin des arbres, mais comme La Palma y El Tucan prend le reste en charge, ça limite le risque.

Niveau process, ils ne font que de la fermentation lactique. L’eau utilisée est filtrée, réutilisée, et elle est incroyable. Ils ont aussi une guesthouse avec des chambres qui portent chacune le nom d’une variété de café. Et quand tu te réveilles, tu es dans la jungle, dans le brouillard avec ces énormes vautours qui tournent dans le ciel, c’est incroyable. Ils font un travail de fou, ils mesurent tout, et ça fait des cafés d’une qualité de dingue.

Pour choisir un café, tu prêtes beaucoup d’attention au traitement post-récolte ?

Personnellement, j’aime les cafés qui sentent la fermentation, les cafés naturels, les cafés un peu chelous du Kenya, d’Ethiopie, de Colombie ou du Brésil avec des notes tropicales, les cafés funky. Quand la fermentation est bien faite, c’est dingue. Et quand j’ai un sample que j’aime, je le veux. Comme par exemple le café de la ferme El Placer, que je n’avais jamais goûté avant, super épicé, avec des belles notes tropicales. 

Mais une torréfaction, c’est aussi un business et il faut que ça tourne, ce serait flippant de ne prendre que des cafés que j’aime personnellement, ça pourrait être un mauvais choix pour le business. Donc bien sûr, j’achète aussi de bons cafés lavés.

Dans tout ça, le traitement du café n’est pas le plus important. En tout cas, ce n’est pas une raison en soi pour acheter un café. Je recherche surtout la clarté des arômes même quand ce n’est pas ce que je préfère personnellement. En ce moment, je fais plutôt ce que je veux parce que je suis encore petit et que je n’achète que des petits lots en prenant le temps de parler avec les producteurs. D’ailleurs, j’ai hâte que la situation sanitaire s’améliore pour voyager et retourner dans les fermes.

Voyager dans les fermes, c’est important pour un torréfacteur ?

Tout dépend du genre de torréfacteur que tu veux être. Pour moi c’est un must, parce que ça permet d’avoir une vision plus complète. Mais ce n’est que mon opinion. Si tu n’es jamais allé dans une ferme c’est OK aussi. Je crois simplement que tu dois y aller pour voir d’autres aspects du business.

Si tu as un coffee-shop, je comprends que tu ne voyages pas car tu dois ouvrir ton business tous les jours. Mais si tu es torréfacteur, c’est incroyable d’y aller, pour construire des relations et grandir avec les producteurs en qui tu as confiance. C’est aussi intéressant pour les producteurs, car ils cherchent à travailler avec des partenaires, des gens avec qui ils collaborent et qui vont prendre soin de leurs cafés.

J’ai aussi remarqué qu’à travers mon site et mes réseaux sociaux, j’ai rendu beaucoup de mes amis plus curieux des fermes. Alors même quand je n’achète pas un gros volume de café, que je ne suis pas en contact direct avec le producteur, je peux au moins le mettre en avant et montrer l’amour qu’il a pour son café.

Si pour toi, le process n’est pas le plus important, est-ce que ça l’est pour les fermes avec lesquelles tu travailles ?

Les fermes expérimentent sur le traitement pour rendre leur café unique. Si tu as un café dont le volume est limité, ça attire les curieux et ça donne envie. Travailler un process expérimental, c’est beaucoup de travail sans oublier que c’est aussi le meilleur moyen de foirer toute une récolte. C’est très risqué, mais si tu le fais bien, que tu maîtrises ton expérimentation, alors c’est facile de briller et ça permet de mieux vendre un café.

En contrôlant la fermentation, un producteur peut très bien transformer un café moyen en un café magique, et je trouve que toutes ces expérimentations sont super excitantes.

Cette curiosité que tu as et l’envie de la partager, ça a été déterminant pour le Championnat du Monde Cup Tasters à Berlin, en 2019 ?

Oui, carrément, mais pas autant que les sacrifices que j’ai fait pour y arriver. Je voulais gagner à tout prix alors j’ai arrêté de fumer, et je me suis entraîné tous les jours pendant 6 mois pour ce championnat. Il consiste à trouver, entre trois tasses, celle qui est différentes des deux autres. On appelle ça un triangle, et tu dois en trouver un maximum sur 8 triangles.

Ça se joue à des détails. J’ai suivi pour ça un régime sans sel, sans poivre, sans épices. À la fin, je ne savais plus quoi faire pour m’entraîner. Je cherchais à différencier des blends quasiment identiques. J’ajoutais seulement quelques gouttes d’eau dans une tasse pour essayer de capter la différence… et je faisais 8 sur 8 à chaque triangle.

Et puis un jour où je voulais tester différentes torréfactions, j’ai goûté un café très amer. J’ai senti un goût étrange dans la bouche, comme quand tu t’es brûlé la langue. Donc, je venais de perdre mon palais 2 semaines avant la compétition. J’ai dû arrêter de m’entraîner et quand j’ai pris l’avion pour Berlin, je n’étais toujours pas capable de goûter quoi que ce soit. Je n’arrive pas à expliquer comment, mais peu après mon arrivée je suis allé chez Five Elephants pour boire un café filtre, et j’avais tout retrouvé, j’étais de retour ! 

Ça me rend nostalgique de penser à tout ça, je revois chaque moment jusqu’à la finale. J’étais persuadé de gagner. Quand je suis arrivé en finale, je savais que j’étais plus rapide, et que j’allais gagner car c’est comme ça que j’avais visualisé les choses. Pendant la finale, je n’entendais plus rien, je ne voyais rien de ce que faisaient les autres candidats. C’était juste moi, concentré sur mes triangles. Quand tu as visualisé quelque chose qui arrive vraiment, c’est incroyable. Ça a été un des meilleurs moments de ma vie après avoir rencontré ma copine !

Gagner, c’est important pour toi ?

Gagner non, mais me challenger oui. C’est pour ça que j’aime les compétitions de cupping, car ce n’est pas basé sur le jugement d’une autre personne, juste sur toi et ton résultat. Personne ne peut influencer les résultats.

Après, je suis aussi persuadé que tu dois avoir un don pour y arriver. J’ai eu la covid en janvier, et en revenant de l’hôpital je pensais que mon palais était mort car je ne sentais plus rien. Ma copine a toujours des difficultés aujourd’hui, mais chez moi tout est revenu après une semaine. C’est une chance, j’ai des amis qui étaient responsables qualité dans des bonnes torréfactions et qui doivent changer de carrière à cause de ça. J’ai de la chance d’avoir pu tout réapprendre à nouveau, comme si c’était la première fois.

Tu attends encore quelque chose des compétitions ?

Aujourd’hui, tout le monde me dit que je vais être trop occupé avec Sumo pour reprendre l’entraînement. Ma seule frustration est de ne pas avoir réussi à faire 8 sur 8 à chaque fois en 2019. Je ne suis pas forcément un compétiteur, mais je veux m’améliorer.

Après les finales, j’étais un peu déprimé, j’étais perdu sans comprendre pourquoi j’avais sacrifié autant de choses. Les trophées que tu vois derrière moi représentent beaucoup et en même temps, ça ne veut absolument rien dire. Le plus important, c’est d’y aller pour moi et pour faire un 8 sur 8 !