Nora Smahelova a commencé à travailler sur des machines La Marzocco dès ses débuts à Berlin comme barista, au début des années 2000. Par une drôle de coïncidence, elle est désormais la responsable des formations de l’Accademia del Caffè Espresso, le centre de recherche de La Marzocco.
Bonjour Nora, qu’est-ce que l’Accademia del caffè Espresso ?
L’Accademia del Caffè Espresso se situe à l’endroit de la première usine La Marzocco, qui fonctionnait jusqu’à ce qu’elle devienne trop petite et que la marque en fasse un musée. Ici, tu peux découvrir toute l’histoire de La Marzocco et voir l’évolution des machines à espresso. À travers l’exposition, on souhaite faire le lien entre nous et les pays producteurs, parce que sans café et sans pays producteur, c’est simple, il n’y a pas de machines à espresso. Et bien sûr, l’Accademia abrite un grand laboratoire consacré à la recherche.
De quel genre de recherches s’agit-il ?
On fait un focus sur l’espresso, avec l’idée d’appréhender le café selon son origine, pour qu’il soit possible de préparer un bon espresso en tenant compte de son origine, et pas qu’avec des cafés exclusifs et rares.
Beaucoup de nos recherches portent sur la préparation de l’espresso, notamment grâce à notre laboratoire de recherches sensorielles et de cupping. L’idée derrière, c’est de mieux goûter le café et de comprendre quels sont les impacts des différents paramètres de préparation sur le goût d’un espresso : la maîtrise de de la mouture, de la pression, du ratio et d’autres paramètres encore.
Justement, comment préparer un bon espresso ?
Tu dois vraiment bien connaître la machine que tu utilises, et savoir quelles sont ses possibilités. Ensuite, c’est tout un ensemble de paramètres qu’il faut appréhender.
Le choix du café et sa qualité, c’est le premier paramètre à prendre en compte après la machine. Plus tu as d’informations sur le paquet comme l’origine ou le process, mieux c’est. C’est souvent le signe que le torréfacteur se soucie de son produit. Si tu as un mauvais café, tu pourras faire une bonne extraction, mais tu ne feras pas de bon café !
Ensuite, tu dois maîtriser la mouture. Je conseille à tout le monde pour cela d’avoir un référentiel, au niveau de la quantité comme pour la taille de la mouture. Moi, je commence toujours avec 17 grammes de café, une mouture fine et une eau à 93°c. Avoir une recette de référence est la meilleure façon de savoir comment améliorer ta préparation par la suite.
Dans les paramètres de base, le ratio entre l’eau et le café est aussi très important. La plupart des gens utilisent un ratio de 1:2, soit 1 dose de café pour 2 doses d’eau, par exemple 18 grammes de café au départ et une extraction de 36 grammes à l’arrivée. Mais tout dépend de ce que tu veux, de tes goûts.
Une des clés d’un bon espresso est aussi la propreté. Si tu ne nettoies pas correctement ta machine, tu ne feras jamais de bon espresso !
Comment choisir la bonne mouture pour préparer un espresso ?
J’ai un petit conseil simple à te donner. Il s’agit de toucher la mouture avec le bout de ton index. Si du café moulu reste collé au bout de tes doigts, dans les empreintes, alors c’est assez fin. Il est très important de maîtriser la taille de la mouture, mais aussi sa répartition dans le filtre.
Pour cela, il faut être équipé d’un tamper adapté à ton filtre pour uniformiser la répartition de la mouture. L’idée est de créer une pression constante sur le café pendant toute la durée de l’extraction. Comme l’eau cherche toujours le chemin le plus facile pour s’écouler, un filtre tassé uniformément permet une extraction uniforme et régulière, partout dans le filtre. Et puis tu regardes la vitesse de l’extraction.
Quel est le temps d’extraction idéal pour un espresso ?
Pendant longtemps, une bonne extraction se situait entre 20 et 25 secondes. Aujourd’hui, on va sur 30 secondes voire même parfois 40, selon la machine. Pour découvrir un café, viser 25 secondes est pour moi une bonne idée.
Pendant l’extraction, le café est d’abord saturé d’eau, comme une éponge, et puis après ce court moment de pré-infusion, les premières gouttes de café tombent du filtre. Si l’extraction est trop rapide, tu peux moudre plus fin, et inversement si l’extraction est trop longue.
Le temps d’extraction a été facile à gérer pendant longtemps car on ne pouvait jouer que sur la mouture. Il y avait moins de choix de café, et les machines avaient moins de fonctionnalités. Sur beaucoup de machines actuelles, tu peux maintenant régler la température, ainsi que la pression. Ce qui ajoute de nouveaux paramètres à maîtriser pour réussir ton extraction.
Comment adapter l’extraction au type de torréfaction ?
Tout commence par le café. Tu peux définir visuellement la torréfaction du grain que tu as entre les mains, selon la couleur à la surface, si elle est plus ou moins claire. Si elle est légère ou plus développée, tu peux gérer ton extraction différemment. Plus le café est torréfié light, plus l’extraction devra être précise.
Comment sais-tu que tu as réussi ton extraction avec un café que tu ne connaissais pas ?
Si c’est un café que je n’ai jamais goûté, mais pour lequel j’ai plusieurs indications, comme l’origine et le traitement, je sais ce que j’attends. Par exemple, beaucoup d’acidité si c’est un café lavé d’Ethiopie.
Si tu connais tous les paramètres de ton café, tu peux souligner ou cacher certaines caractéristiques. En général, on cherche à extraire le sucre, puis à trouver un bon équilibre entre l’acidité et l’amertume. C’est pour moi la définition d’un bon espresso complexe et plein de flaveurs. Et là, retiens juste que plus tu prends ton temps, avec une extraction longue si un café est moulu trop finement, et plus tu vas extraire de l’amertume.
Quel est le rôle de la pression dans l’extraction d’un espresso ?
Plus tu mets de pression, plus tu stresses le café et l’extrait davantage. Avec moins de pression, tu auras un espresso moins agressif, plus doux à boire.
Beaucoup de machines ont une pression constante. Dans le passé, la pression pour extraire un espresso était de 9 bars, mais aujourd’hui il y a beaucoup plus de possibilités. Et on s’est rendu compte aussi que la pression pouvait moduler le goût du café, alors pourquoi pas essayer de diminuer la pression jusqu’à 6 bars pour voir quel café tu obtiens à l’arrivée ?
Est-ce que la crema est un bon signe d’extraction ?
Dans le passé, c’était un signe de qualité. Par exemple en Italie, il fallait que le sucre ajouté sur la crema puisse rester plusieurs secondes au-dessus pour que l’espresso soit considéré comme de qualité. Mais ça voulait aussi dire que le café n’était pas buvable sans sucre ! Je te parle là de cafés de commodité, dans les bars classiques.
Les temps ont changé, je ne pense pas que la crema soit un réel signe de qualité aujourd’hui. Elle peut te donner une idée sur la vitesse d’extraction, ou encore la torréfaction. Par exemple, si la torréfaction est light, il est normal de ne pas avoir de crema. Avoir une belle crema ne rend pas ton espresso meilleur.
D’après toi, qu’est-ce qui a le plus changé pour l’espresso depuis tes débuts ?
Clairement, le choix des cafés. Quand j’ai débuté vers 2000, on voulait l’espresso italien avec un blend quelconque. Aujourd’hui, il y a tellement d’origines disponibles, même chez les torréfacteurs les plus commerciaux, que les possibilités sont infinies.
Il y a aussi plus d’intérêt des consommateurs pour ce qu’ils boivent. Et puis il y a eu l’apparition des machines à espresso pour la maison. C’est aussi une sacré différence ! Et je pense que l’accès aux connaissances sur les origines d’un café, que les torréfacteurs communiquent de plus en plus, est maintenant très important.
La manière de boire a aussi évolué, entre le temps où on te servait un espresso avec un verre d’eau et du sucre, et maintenant où le sucre n’est vraiment plus encouragé.
Et en ce qui concerne les machines ?
Les constructeurs cherchent toujours à améliorer le workflow des baristas. Ils pensent d’abord aux professionnels, parce qu’il est toujours plus facile d’aller ensuite vers quelque chose de plus amateur, pour les home-baristas. C’est le cas par exemple sur la KB90, avec une façon d’insérer le porte-filtre plus adaptée au quotidien des baristas.
Les compagnies regardent d’abord les besoins du marché et ses évolutions. Aujourd’hui, il y a tellement de variables à maîtriser que l’enjeu est de pouvoir moduler ton extraction avec le plus de stabilité possible, pour assurer chaque paramètre et pouvoir gérer tout ce qui ne dépend ni de toi ni de la machine, comme le style de torréfaction, le traitement ou encore l’âge du café.
Acheter une bonne machine pour la maison, c’est aussi se poser la question du budget. Chez nous, la plus abordable est la Linea Mini, qui permet de reproduire la même expérience que celle d’un coffee-shop. Ensuite, tu as la GS3, avec l’avantage de pouvoir gérer une pré-infusion.
Aujourd’hui, il y a un débat sur le porte filtre. Doit-il être bottomless ou non ? L’avantage du bottomless, c’est de voir assez vite comment se déroule l’extraction et de vérifier que la mouture était bien répartie dans le filtre. C’est aussi super instagrammable, tu vois beaucoup d’images d’extractions vues du bas. Sur cette question, je suis plutôt traditionnelle, et d’ailleurs je ne bois aussi que des single shots. Comme ça, j’ai l’occasion de goûter plus de cafés !