À Piendamó, au sud de la Colombie dans la région de Cauca, Diego Samuel et sa famille travaillent depuis plusieurs années à développer de nouveaux traitements du café dans leur ferme El Paraiso.
Pour certains, Diego est un génie du process et pour d’autres, un menteur responsable de mettre sur le marché des cafés truqués. Il faut dire que les cafés d’El Paraiso sont loin de laisser indifférents et chez les passionnés, ils alimentent les discussions dès qu’on les goûte. Les tasses d’El Paraiso sont fruitées, puissantes et directes. Trop ? Peut-être.
Loin des débats et depuis El Paraiso, Diego Samuel et sa famille continuent d’innover pour pousser le traitement de leurs cafés toujours plus loin et répondre aux challenges du producteur moderne.
Bonjour Diego, quand as-tu commencé à faire du café de spécialité ?
Mon histoire avec le café commence en 2006, quand je reprends la ferme familiale, El Paraiso, avec mon frère Alex. On n’y connaissait absolument rien au café et on a commencé de manière classique, à faire des cafés lavés.
El Paraiso est-elle toujours une ferme familiale ?
Oui, toujours. Au départ, c’était simplement une ferme de 4 hectares, nichée à Piendamó dans le Cauca. Puis, petit à petit, on a grandi.
Mon frère Alex est celui qui pousse toujours à innover avec de nouvelles idées de process. Ma sœur Yenni a d’abord acheté une parcelle dans le Tambo pour faire pousser du café, puis mes oncles et tantes s’y sont mis aussi. Daniel, mon neveu, est chargé de toute la logistique, une fois que le café est prêt à être trié.
Ma femme conçoit des produits à partir de la ferme, notamment un thé de café vert avec de la cardamome. Et, bien que mes enfants soient encore à l’école, ils ont chacun un geisha avec leur nom.
Maintenant, toute la famille fait pousser du café que l’on ramène à Piendamó, où on process les cafés. C’est la plus petite de toutes les fermes, mais c’est là que se trouvent nos laboratoires de microbiologie et d’analyse qualité. On y trouve aussi notre machine pour mécaniser le séchage du café et augmenter la qualité finale en tasse, Ecoenigma.
Quel est l’avantage de posséder 2 fermes à des endroits différents ?
L’avantage est que l’on a accès à des sols très différents. La ferme d’El Tambo est à 1750m alors que celle de Piendamó se trouve à 2050m d’altitude. Chaque terre possède des nutriments distincts qu’il faut comprendre pour faire pousser les bonnes variétés au bon endroit. C’est un travail énorme de recherche, mais c’est passionnant !
Quelle est ta définition d’un bon café ?
Un bon café est celui qui me rappelle des bons moments et me renvoie en enfance. J’adore les cafés extrêmement aromatiques et fruités, et ceux qui ont du corps.
Le M-03 que l’on a développé pour Cata Export représente exactement ça, un corps incroyablement crémeux et onctueux avec des notes aromatiques de lait de coco, d’ananas et de cannelle.
Quand as-tu commencé à t’intéresser aux différents traitements du café ?
En 2016, j’ai eu la chance de rencontrer Gilberto Baranoa de la ferme Los Pirineos, au Salvador. Il n’est malheureusement plus parmi nous, car la Covid a eu raison de lui mais son fils Diego fait désormais un excellent travail.
Gilberto m’a partagé un de ses process qui était de sécher le café avec la cerise, comme un café nature, puis de le ré-humidifier avant de le dépulper, et enfin le sécher à nouveau avec le mucilage, comme un café honey.
C’est vraiment grâce à lui que j’ai compris l’importance du traitement post-récolte et cette découverte a ouvert une porte que je n’ai jamais pu refermer.
Qu’est-ce que ce travail sur les process post-récolte a changé pour El Paraiso ?
Quand on a découvert ça, nos cafés sortaient régulièrement à 85/86 points, puis, on a terminé 10ᵉ lors de la Cup of Excellence 2018. À partir de là, on a pris notre envol et El Paraiso est devenue la ferme que l’on connaît aujourd’hui.
Avant ce travail et cette récompense, personne ne croyait en nous. Les juges de compétitions ne comprenaient pas nos cafés, les puristes trouvaient ça trop extrême, mais à partir du moment où les consommateurs ont eu accès à El Paraiso, il était impossible de faire machine arrière et on a pu grandir.
Jusqu’où un process doit-il influer sur le goût d’un café ?
Pour moi, c’est le consommateur final, qui achète un paquet de café ou qui rentre dans un coffee shop de spécialité, qui décide de ce qui est bon ou pas. Si tu prends le même grain de café, mais que tu lui donnes un traitement naturel ou un traitement lavé, il n’aura absolument pas le même goût. Qui détermine lequel des deux est le meilleur ?
Encore une fois, le choix revient au consommateur. Quel droit a le producteur, le torréfacteur, le barista ou le juge de compétition de mettre une barrière à tel ou tel traitement du café, s’il y a une demande ?
La richesse du café vient de sa diversité et tant qu’il y aura des gens pour boire tous types de cafés alors il est du devoir de chacun de faire en sorte que cette demande soit satisfaite.
Aujourd’hui, un litige existe dans le café de spécialité sur les cafés infusés. Pourtant, dans une démarche de tests et de recherches, c’est intéressant : comment transférer des composés aromatiques d’un élément organique, comme un fruit, vers un autre tel que le café ? Je n’ai rien contre, libre à chacun de continuer d’expérimenter et d’innover à sa façon.
Combien de temps de travail est-il nécessaire pour maîtriser 1 process ?
Développer un process, c’est 6 à 8 mois de travail. C’est un travail ardu, il faut prendre en compte sa reproductibilité. Si on développe de nouveaux profils, mais qu’ils sont trop complexes ou trop longs à reproduire, ce n’est pas viable. Ces phases de développements sont de véritables défis.
Quand on fait nos tests, on s’appuie sur notre laboratoire de microbiologie. Il nous permet d’identifier les populations bactériennes présentes dans lors de la fermentation de nos cafés, d’isoler celles que nous souhaitons garder, de les cultiver puis de les ré-incorporer dans le processus de fermentation pour potentialiser certains attributs aromatiques du grain.
C’est également dans ce laboratoire qu’on a compris comment fixer les composés aromatiques volatiles qui se développent pendant la fermentation. Si nos cafés ont ce goût si particulier, c’est grâce à tout ce travail autour des fermentations.
Comprendre la fermentation, c’est le challenge de tous les producteurs de café d’aujourd’hui ?
Le vrai challenge, c’est de sortir des cafés qui lui permettent d’être bien payé pour son travail. Pour l’avoir vécu aux débuts d’El Paraiso, il n’est pas nécessaire d’avoir une grosse infrastructure pour y arriver. Il faut de la méthode pour identifier ce qui fonctionne et ce qui ne marche pas, pour sortir des profils consistants.
À plus long terme, les producteurs doivent trouver leur place dans une industrie qui réclame toujours plus de traçabilité sans toujours mieux les rémunérer. Trouver l’équilibre entre les demandes des producteurs, des exportateurs, des torréfacteurs, des baristas et des consommateurs est à mon sens le défi des années à venir.
Et, en ce qui te concerne ?
Quand je vois tout ce qu’il me reste à apprendre et comprendre, je ne peux que rester motivé. Le café est un sujet tellement vaste et l’on n’a jamais fini d’être surpris ou de découvrir de nouvelles choses.
Quand je vois la qualité de café des cafés que produisent des amis tels que Sebastian Ramirez, Edwin Norena, Newerley Gutierrez ou Nestor Lasso avec qui je serai en France avec Cata Export, ça me donne de l’énergie pour aller encore plus loin dans mon travail.
Aussi, El Paraiso a également un rôle social que peu de gens connaissent. On achète des cerises de café à de nombreuses familles pour répondre à la demande, ce qui permet vu nos prix d’achats d’augmenter considérablement le niveau de vie des caféiculteurs avec qui nous travaillons. Ça aussi, c’est motivant.
Nos portes sont d’ailleurs toujours ouvertes aux caféiculteurs qui veulent apprendre de nouvelles techniques, peaufiner les leurs, avoir des conseils ou simplement savoir comment nous processons nos cafés.