Christophe Servell, torréfacteur engagé

Dès qu’il en a l’occasion, Christophe Servell se rend dans les forêts d’Éthiopie ou les plantations du Salvador, entre autres destinations de rêve pour tous les passionnés du café. Une chance d’aiguiser à chaque rencontre sa vision du torréfacteur, et de comprendre toujours plus profondément ce qui fait une belle tasse.

Christophe a créé Terres de Café à la fin des années 2000. Depuis, il fait figure de pionnier pour le café de spécialité français, et continue de cultiver son engagement pour une filière plus qualitative avec le même mot d’ordre : « des cafés qui font sens ».

Qu’est-ce qu’un café qui fait sens, un café durable ?

Tout le monde aujourd’hui parle de café durable, même ceux qui n’ont rien de durable. Je commence à travailler un autre langage, autour de la “permanence” et qui vient de la permaculture. Ça rejoint la durabilité, car c’est l’idée d’avoir des produits sains et disponibles pour longtemps. 

En tout cas un café durable, c’est un café pour lequel tu respectes l’environnement qui l’entoure, c’est-à-dire les sols, l’eau, et la forêt s’il y en a. Si tu respectes la forêt, tu respectes aussi les animaux qui y vivent, puisque tu ne touches pas à leur habitat naturel. 

Chez Terres de Café, la permanence c’est réfléchir “durable” en amont et en aval, par rapport aux pays producteurs, mais aussi par rapport à nous, aux consommateurs. Et tout ça commence par la qualité, car c’est la qualité qui permet aux fermes de vendre plus cher. 

Pourquoi la qualité du café est-elle le point de départ d’un café durable ?

Le prix du café de commodité, que l’on trouve par exemple en supermarché, a un prix fixé à la bourse et ce prix est depuis 40 ans résolument très bas. Aujourd’hui, ce prix ne permet pas de couvrir les coûts de production, ou à peine. Et c’est pour ça que beaucoup de producteurs arrêtent le café, parce que ça ne permet pas de vivre, d’envoyer ses enfants à l’école. Dans ce système, tu ne peux pas faire de la qualité, car ça coûte cher et ça, ça n’est pas durable.

Quand on fait de la qualité, les producteurs peuvent échapper à ça. Ils peuvent vendre leur café au meilleur prix sur un vrai marché, selon une demande et une offre. Vendre à bon prix, c’est une condition pour faire de la qualité et être durable, car un café de qualité et durable coûte plus cher à produire. Et dans ce schéma, il ne faut pas oublier aussi que tu produis forcément moins, surtout si tu gardes ta forêt et que tu as donc moins de place pour produire. D’où encore, la nécessité de vendre plus cher.

Au fond, la durabilité c’est un tout. C’est permettre aux gens de travailler et de vivre décemment en acceptant, nous torréfacteurs, d’acheter plus cher. C’est donner aux générations suivantes une terre et des rivières saines pour continuer à produire, avoir des gens formés pour augmenter la qualité de leur café. Et quand on y parvient, on rentre dans un cercle vertueux. 

C’est une démarche que tu vérifies dans chaque ferme qui travaille avec Terres de Café ?

Oui, je m’en assure. Mais on a aussi besoin de partenaires qui peuvent croître avec nous. On est sur un marché dynamique avec une demande qui croît de 20 à 30% par an. Donc le développement durable, ça n’est possible aussi que parce que tu as bien choisi tes partenaires à la base.

Je pense par exemple à notre travail avec Mauricio Salaverria de la Finca Himalaya au Salvador. On a commencé très petit ensemble, sans avoir ces réflexions-là. On aimait juste bien ses cafés et les années suivantes, on voulait plus de volume et des cafés encore meilleurs parce que la demande augmentait. Il nous a dit que pour faire ça, sans abîmer l’environnement de ses caféiers, il allait devoir acheter les fermes autour de la sienne. Et c’est ce qu’il a fait. Et donc malheureusement, la durabilité face à la demande est impossible avec des micro-fermes qui ne peuvent pas se permettre d’investir et de grandir. Il faut parfois trancher et c’est compliqué mais c’est un critère très important de permanence.

Dans tout ça, quel est le rôle du torréfacteur en plus de l’achat de cafés ?

Pour moi, un torréfacteur doit avoir une vision. Pas celle qui consiste à vendre le plus cher possible des cafés médiocres. Là, tu es destructeur de valeur, dans les pays producteurs comme pour le palais des français. Si tu es un torréfacteur qui se dit responsable, c’est à toi d’initier ce travail pour la qualité.

C’est comme ça qu’on travaille avec notre importateur. Belco nous fait bénéficier de son réseau de producteurs, avec lequel nous échangeons. Et à l’inverse, quand je découvre des fermes, je les mets en relation avec Belco. C’est Belco qui va ensuite gérer l’importation et garantir la qualité que j’ai goûté à la ferme.

L’image que j’ai d’un torréfacteur, c’est quelqu’un qui connaît l’origine, qui a un avis, et qui échange avec les producteurs. Parce qu’en tant que torréfacteur, tu leur dois un retour sur ce qui marche chez toi. Par exemple, si ce qui marche bien chez toi c’est un honey process, tu te dois de donner cette info au producteur. S’il développe ce process, il va consommer moins d’eau, toi tu vas lui acheter plus de sacs, et là ça devient un vrai projet de développement pour sa ferme. Cet échange, ce n’est pas l’importateur qui va le faire pour toi, car c’est grâce au retour du client final.

Après, ton rôle c’est d’informer ce client. Le temps passe malheureusement trop vite, mais quand j’ai commencé Terres de Café il y a dix ans, j’ai raisonné comme on raisonne dans le vin, en parlant de la ferme avant la région et le pays. C’était un pari, mais je me suis dit que plus le café serait traçable, mieux ce serait pour le client.

Donc voilà, le rôle du torréfacteur dans tout ça, c’est de prendre ses responsabilités.

Chez Terres de Café, j’ai l’impression qu’être responsable de ses cafés commence par aller voir ce qu’il se passe dans les plantations, à la source. Je me trompe ?

Aujourd’hui si tu ne connais pas le pays, tu ne connais pas le café. En tout cas pas toute sa dimension. Un torréfacteur qui ne connaît pas l’origine, il va peut-être avoir une idée sur ses cuissons, mais c’est tout. Et la dimension de l’origine, c’est la moitié d’une tasse, pour en parler et bien connaître le produit. 

Même quand tu connais bien un pays, tu apprends toujours et le voyage est aussi nécessaire parce qu’il te donne du recul. C’est inspirant de voyager à l’origine, tu comprends le café, tu le respecte plus. 

J’ai eu des idées pourries pour Terres de Café, mais les meilleures idées que j’ai eues c’était en me baladant dans les forêts éthiopiennes, avec Jacques Chambrillon, d’autres torréfacteurs, des producteurs… Jacques, c’est l’une des premières personnes que j’ai rencontré dans ce métier, et j’ai eu de la chance. Il avait monté une toute petite importation de cafés de forêt, en Éthiopie, c’était avant qu’il rejoigne Belco. 

Et ça, ça a changé ma vision, parce que c’est grâce à lui que j’ai découvert les cafés de forêt, que j’ai voulu en faire en majorité, parce que c’est le plus durable. D’ailleurs, cette place particulière se voit dans notre gamme, tu trouves des éthiopiens à tous les étages, y’en a même trop mais c’est dur d’en enlever !

C’est ces rencontres qui ont bâti la vision de Terres de Café, pas de charbonner sur mon torréfacteur jusqu’à 22h.

Pour quelles autres raisons l’Éthiopie est-elle aussi importante pour toi ?

Ça a été mon premier voyage et mon premier contact avec le café, un pays caféier hors du commun. Le café c’est la culture éthiopienne, c’est un plaisir, un rituel, un médicament, ça rythme les journées, y’a pas d’autres pays comme ça. 

Si tu vas au Kenya, juste à côté, il ne boivent pas de café, mais du thé. L’histoire du café au Kenya est liée à la colonisation, à la souffrance et à l’acculturation. On travaille avec une sublime ferme là-bas mais quand on est arrivés la première fois, il n’y avait pas moyen de boire un café. Les mecs avaient fait un thermos pour le déjeuner, mais c’est tout.

L’Éthiopie, c’est le seul pays où tu peux aussi te promener dans des forêts immenses avec des caféiers. Ça n’existe pas ailleurs, parce qu’ailleurs une plantation ressemble à une plantation, avec des arbres bien taillés, à hauteur d’homme. En Éthiopie les caféiers font 1m80, 2m, les ouvriers lèvent les bras et plient les branches pour récolter. Et cette notion de laisser les arbres grandir, sans trop y toucher, ça n’existe qu’en Éthiopie.

J’y vais au moins une fois par an, et je ne me lasse jamais. On y découvre des gens passionnés et quand ils discutent avec d’autres gens qui ont le même discours, qui veulent acheter les cafés au bon prix pour préserver les arbres, et même financer des boutures de nouveaux arbres, ce qui est que dalle pour nous, les mecs sont en harmonie avec toi. 

Le point culminant de cette relation particulière à l’Éthiopie pour Terres de Café, c’est le Contest Coffee Project, avec Kahlid Shifa, à Jimma ? 

Il y a un an, on est allés là-bas avec Pierre de Chantérac et Jean-Baptiste Murcia, notre torréfacteur qui est parti il n’y a pas très longtemps. L’idée du truc est venue après avoir fait pas mal de championnats. Avec les baristas, on s’est rendu compte que tous les cafés gagnants étaient des fermentations spéciales, anaérobiques.

Ce qui m’agace avec ces concours, c’est d’avoir à acheter des cafés à des gens avec qui on ne travaille pas sur le fond. Ça rejoint la notion de durabilité, pour moi il faut travailler sur le long terme avec les fermes. On a beaucoup discuté avec Pierre et je lui ai proposé d’aller en Éthiopie pour faire nos fermentations avec Khalid Shifa que l’on connaît bien. 

On est allés chez lui, on a planté nos tentes, on est restés deux semaines pour faire 15 fermentations d’un même café. Khalid était comme un dingue, son staff aussi. C’était le début de la récolte. Alors on a récolté, on a trié et on a essayé plusieurs fermentations, avec une identité commune puisque c’est le même café. Un côté floral, orange et cacao, mais des résultats assez différents en tasse. 

Elle ressemble à quoi la plantation de Khalid Shifa ?

C’est magique et dur à la fois. Tu es à 2000 mètres d’altitude et la nuit il fait pas loin de 0°c, heureusement pas trop longtemps pour les caféiers. Quand on y était pour le Contest Coffee Project, c’était la fin de la saison des pluies. Il y a deux nuits où je n’ai pas dormi à cause du froid et de l’humidité. Les conditions sont spartiates, t’as pas forcément d’eau courante. Tu arrives en piste, il n’y a pas de route, c’est glissant… Bref, la réalité est plutôt dure surtout pour des êtres humains embourgeoisés comme nous européens.

Là-bas, tu peux voir le travail incessant d’une ferme en période de récolte, du soir au matin. La récolte c’est lourd, c’est mis en sac avant d’être remonté dans la plantation pour être triée. Et là, ce sont des femmes en majorité qui travaillent, c’est elles qui trient les cerises sans arrêt, pour retirer les cerises avec des défauts, les cerises pas mûres etc. Ensuite, ce sont encore des femmes qui remuent le café toute la journée pour que le séchage soit homogène. 

Mais l’autre réalité, c’est qu’en sortant de l’avion qui t’amène à Jimma, tu as une odeur de sucre, quand tu arrives à la ferme le soleil se couche avec une famille de babouins qui passe l’air fier en contrebas de la plantation, qui bouffe deux ou trois cerises et se tire. Donc pour répondre à quoi ressemble la ferme de Kahlid, c’est tout ça : beaucoup de travail physique, dans des conditions difficiles avec des moments magiques.

Pour en revenir à ta vision, partager cette réalité du terrain fait-elle de Terres de Café un torréfacteur engagé ? 

On est extrêmement engagés. Le meilleur moyen d’être engagé c’est d’acheter un maximum de cafés de forêt, il n’y a pas de culture plus vertueuse que le café de forêt. Des cafés que l’on achète trois ou quatre fois le prix du marché. Ça c’est une démarche engagée, parce qu’en achetant du café de forêt, tu valorises la forêt. 

Après, la permanence c’est ici aussi. Et là le mieux qu’on puisse faire, c’est d’informer les clients pour établir une relation de confiance. Pour aller au bout de cette démarche, ce qu’il faudrait c’est un outil, un label pour garantir la durabilité. Terres de Café n’est pas tout seul dans cette démarche et c’est très bien. Mais ce qu’il manque c’est un vrai logo, une vraie certification pour dire ce qu’est la durabilité, pas Fairtrade. Fairtrade ça veut rien dire, surtout pas la qualité. C’est un truc marketing de la grande distribution, du green washing. 

C’est presque un appel que je lance : je veux être contrôlé à l’origine, j’en ai besoin pour avoir en plus de ce discours un outil qui soit fait pour les artisans et pas la grande distribution, pour développer la confiance envers Terres de Café et qui soit dédié au café. Un outil qui valorise toute notre démarche qualitative et durable.