Peut-on trouver plus coffee-geek que Jonathan Gagné lorsque l’on parle de préparer un café filtre ? Jonathan est astrophysicien et chercheur au planétarium de Montréal Rio Tinto Alcan, et un grand passionné de café de spécialité.
Depuis qu’il a découvert le café pendant ses études, Jonathan utilise ses connaissances et méthodes scientifiques pour aller le plus loin possible dans la compréhension de son extraction.
Ces recherches, le canadien a pris l’habitude de les partager sur son blog Coffee Ad Astra. Et aujourd’hui, elles s’apprêtent à être rassemblées dans un livre, « The Physics of Filter Coffee », en compagnie de Scott Rao. Un livre à paraître début 2021 et qui valait bien une interview !
Comment est née l’idée du livre “The Physics of Filter Coffee” ?
L’idée est venue graduellement, à force d’écrire des billets sur plusieurs aspects du café filtre, j’ai réalisé que je commençais à avoir un fil conducteur qui couvrait à peu près tous les aspects du café “pour over”. Je me suis alors dit que ça serait bien d’approfondir chaque aspect, de mettre à jour mes billets plus vieux sur Coffee Ad Astra avec les connaissances accumulées et mettre sur pied un ouvrage où n’importe qui pourrait partir de zéro et apprendre tout ce que j’ai appris sur le sujet dans les dernières années.
Quand as-tu commencé à t’intéresser au café de spécialité ?
Ça a commencé pendant mes études au doctorat, j’aimais beaucoup travailler dans l’ambiance des cafés à Montréal, en particulier Le Couteau sur le Plateau Mont-Royal, qui n’existe malheureusement plus. En 2014, j’ai fait un séjour à Pasadena en Californie pendant 6 mois, et j’ai découvert plusieurs cafés que j’aimais bien, dont Copa Vida et Intelligentsia. C’est là que j’ai vraiment commencé à apprécier toute la variété des cafés de spécialité.
Dès le début, tu veux tout comprendre de l’extraction du café ?
Non, pas du tout en fait. C’était une boîte noire pour moi, et j’avais remarqué que je ne réussissais pas aussi bien mes « pour overs » que dans les coffee-shops. Ma solution a d’abord été d’aller sur place plutôt que de préparer du café chez moi. Après 2015 j’ai fait un stage postdoctoral à Washington, D.C. où il s’avère que l’eau a de très bonnes propriétés pour la préparation du café, et je me suis tranquillement adapté à cela.
En revenant à Montréal en 2018, j’étais très confus par rapport au fait que le café goûtait tellement pire chez moi, et dans la plupart des coffee-shops aussi, dans une moindre mesure. C’est à ce moment que j’ai décidé de vraiment creuser pour trouver ce qui se passait.
Je pense que la compréhension de la physique sous-jacente à l’extraction du café peut nous aider à découvrir de nouvelles méthodes pour préparer le café au meilleur de son goût à chaque fois.
Quelle a été ta découverte la plus surprenante sur l’extraction du café ?
Probablement que les préparations en V60 ont tendance à être sous-extraites dans les couches les plus profondes du lit de café, dans le filtre.
Pendant longtemps j’étais un peu sceptique de l’idée du « bypass », un terme utilisé pour décrire l’écoulement de l’eau autour du lit de café plutôt qu’à l’intérieur de celui-ci.
Peux-tu expliquer la différence entre le « bypass » et le “channeling” ?
Le « channeling » est un terme qui indique plutôt qu’un tunnel a été creusé entre certaines particules de café pendant la préparation, et qu’une majorité de l’eau passe à cet endroit, parce que l’eau emprunte toujours les chemins de moindre résistance.
Dans une telle situation, les particules de café le long du tunnel seront sur-extraites, contribuant au goût astringent et amer, alors que les autres particules de café seront sous-extraites. Le résultat sera un breuvage très faible et déplaisant, il sera alors très difficile de différencier des cafés de différentes origines, ou de reconnaître un seul des descriptifs de goût fournis sur le sac de café, par exemple.
C’est important de noter qu’on utilise le terme « channel » de façon assez large, cela peut correspondre à des problèmes léger comme un écoulement d’eau un peu débalancé dans le lit de café, mais aussi une partie de l’eau s’écoulant autour du lit de café, ou un cas plus extrême comme un tunnel décrit plus haut.
Qu’est-ce qui provoque ce phénomène de « channeling » pendant l’extraction ?
Plusieurs choses peuvent le produire. Un filtre qui se bouche, une mouture de café très peu uniforme, un porte-filtre dont le design est mauvais, le fait de verser avec une bouilloire sans « gooseneck », le col de cygne, ou encore verser beaucoup trop rapidement, utiliser trop peu de café, travailler sur une surface très peu au niveau, ne pas faire une bonne étape de préinfusion… Ce sont tous des exemples qui peuvent mener au channeling.
Tu parles de bouilloire avec un “gooseneck”. Cela fait-il partie du set-up idéal pour débuter ?
Hm, il n’y en a probablement pas un seul, et ça dépend tellement du budget alloué. Je suggère toujours d’utiliser une balance en plus de la bouilloire avec un « gooseneck ».
Il y a deux marques de moulins que je recommande souvent pour les petits budgets, généralement Baratza et Breville, en particulier parce qu’ils ont des modèles qui couvrent presque tous les niveaux d’entrée de gamme. Je recommande parfois aussi des moulins manuels, dépendant du niveau de motivation de la personne qui me demande.
Débuter avec un V60 en plastique fait du sens pour moi, mais la question la plus difficile est souvent celle de l’eau et de sa préparation. Je suggère parfois les paquets de minéraux Third Wave Water pour commencer ; je ne les trouve pas idéaux, mais je sais que la préparation d’eau à partir d’eau distillée et de minéraux représente trop d’efforts pour la plupart des gens.
Après le café, pourquoi l’eau est-elle le deuxième élément le plus important d’un bon café filtre ?
Parce qu’elle affecte de manière significative le goût du café. La propriété de l’eau la plus importante est son alkalinité totale. Cette propriété décrit la concentration en bicarbonate dans l’eau. La plupart des composantes chimiques intéressantes extraites du café sont des acides, un peu comme le vin, et ces acides réagissent chimiquement au bicarbonate.
Le résultat d’une eau avec trop de bicarbonate est un café très ennuyant, sans acidité, et qui goûte beaucoup trop générique. L’aspect surprenant de tout ça, c’est qu’une eau avec beaucoup de bicarbonate peut aussi très bien goûter.
La quantité de minéraux dans l’eau affecte aussi le goût du café, mais les raisons sont plus complexes, pas encore totalement comprises en ce moment, et l’effet n’est pas aussi dramatique. En général, l’eau qui contient plus de minéraux, une eau dite « dure », contient aussi généralement plus de bicarbonate.
Donc en général, les villes où l’eau est vraiment très douce, comme par exemple New-York City, sont préférables aux villes où l’eau est très dure. L’eau idéale selon moi se trouve à peu près à mi-chemin entre celle de New-York City et Montréal !
Vaut-il mieux améliorer l’eau du robinet avec des minéraux ou acheter de l’eau en bouteille ?
J’éviterais d’acheter de l’eau en bouteille parce que ça en demande vraiment beaucoup, c’est plus cher et moins écologique.
Si vous habitez dans une ville où l’eau est très douce, j’ajouterais simplement des minéraux dans l’eau, mais si elle est plus dure, il n’y a pas de solution idéale. Une des meilleures solutions est de trouver un service qui fournit de l’eau distillée avec des grosses bouteilles réutilisables et qui la livrent chez vous en remplacement de la bouteille vide.
Sinon, un système d’osmose inversée coûte cher au départ mais ensuite ça simplifie beaucoup les choses. Beaucoup de cafés adoptent cette solution, en partie pour éviter les dépôts de minéraux dans leur machine à espresso.
Avoir un bon moulin est aussi important que l’eau ?
Oui, c’est important surtout pour deux aspects: empêcher les filtres en papier de se boucher avec la mouture pendant la préparation du café, et obtenir des particules de café de tailles uniformes pour aller chercher toute la matière soluble qui est agréable, sans extraire les composantes plus amères, astringentes ou au goût brûlé.
La plupart du temps, c’est vraiment l’aspect qui fait la plus grande différence sur le goût du café filtre. La seule exception serait d’utiliser de l’eau extrêmement dure, dans ce cas-ci changer l’eau en plus d’un café correctement moulu pourrait avoir un impact aussi grand.
Y a-t-il des filtres papiers meilleurs que d’autres pour une bonne extraction ?
Oui, mais l’effet n’est pas aussi fort que pour les éléments dont nous venons de parler.
En général, je préfère les filtres plus épais parce qu’ils sont plus difficiles à boucher. Je préfère aussi les filtres blanchis, parce que les filtres naturels sont beaucoup plus difficiles à rincer proprement pour éviter le goût de carton. J’évite à tout prix les filtres en tissu, presque impossible à bien entretenir, et les filtres en métal car ils laissent passer beaucoup trop d’huile et de poudre à mon goût.
Aujourd’hui, comment est composé ton set-up ?
En ce moment j’utilise un moulin EG-1 par Weber Workshops avec les meules « Ultra-low-fines ». Par contre, il faut vraiment être motivé parce que c’est très cher !
J’utilise une balance Pearl S par Acaia, je trouve qu’ils font du très bon matériel, mais c’est aussi dispendieux.
Je prépare mon eau à partir de minéraux et d’eau distillée, et j’utilise un porte-filtre Stagg X légèrement modifié et des filtres faits pour le Stagg X, ou parfois des filtres Hario V60 très épais même si ils sont plus difficiles à trouver en général.
J’utilise la bouilloire Stagg par Fellow, je trouve que c’est plus facile de verser de façon stable avec celle-ci, et j’adore le fait qu’elle n’émette aucun son quand on l’utilise.
Pour terminer, quelle a été ta meilleure expérience café ?
C’est difficile d’en nommer une seule, mais en général c’était presque toujours en présence d’amis que j’ai apprécié le plus le café. Il y a définitivement un effet psychologique !