Dans Sip ‘n’ Slurp, le livre qu’elle auto-publie, Freda Yuan vous donne ses conseils pour mieux déguster votre café et en apprécier chaque instant. Freda Yuan est responsable des achats pour le torréfacteur anglais Origin. Elle est 3 fois Championne Cup Tasters UK 2017, 2018 et 2020 et a terminé à la 3ème place des championnats du Monde 2017.
Très accessible et plein d’exercices pratiques pour améliorer son palais, Sip ‘n’ Slurp se nourrit de l’expérience de Freda Yuan en compétition et de son histoire personnelle avec la dépression et la boulimie.
Bonjour Freda, comment es-tu arrivée chez Origin ?
J’ai d’abord été serveuse en Australie, à Melbourne. Puis, quand je suis rentrée chez moi à Taiwan, je voulais retrouver ces ambiances de café où les gens viennent régulièrement, où les serveurs se souviennent de toi. Et je me suis dit que j’allais ouvrir un café dans ce genre.
Je suis allée à Londres avec un Permis Vacances Travail pour être barista. J’étais dans un café au cœur de la City, on préparait quelque chose comme 1000 ou 1500 cafés par jour !
Ensuite, j’ai été embauchée chez Caravan, comme assistante de production et puis responsable du contrôle qualité. C’est à ce moment que je me suis prise de passion pour le café vert, et ai rejoint Origin comme acheteuse.
En quoi ce travail consiste-t-il ?
On travaille avec des producteurs de 11 pays, mon rôle est de les connaître, de comprendre leur manière de travailler et de sélectionner les cafés que je souhaite amener au UK. Après, il y a toute la logistique à organiser, pour recevoir les cafés au bon moment.
Je voyage aussi beaucoup pour visiter les fermes et rencontrer ces producteurs. Certains travaillent avec Origin depuis des années, c’est important de garder un lien avec eux et de le construire avec les nouveaux.
Sinon, c’est moi qui rédige les descriptions et les informations sur les cafés. On sort 1 micro-lot par semaine, c’est 52 cafés sur lesquels il est important de bien communiquer.
On te voit aussi à chaque compétition internationale de Cup Tasting. En quoi est-ce différent de ton job ?
C’est assez similaire en fait, parce que je ne participe qu’aux compétitions Cup Tasting, pas pour les Brewers Cup ou les compétitions Barista.
Quand je suis dans une ferme, je peux cupper 40 cafés par jour, et je dois sélectionner celui qui est le plus intéressant pour les clients. C’est aussi un sacré entraînement !
Qu’est-ce qui te plaît dans le côté sensoriel du café ?
Il y a un truc que j’adore, c’est de goûter plusieurs variétés d’un même aliment. À Taïwan, on a beaucoup de fruits merveilleux, la nourriture fait partie de ma culture et j’ai vite trouvé le café intéressant car je ne savais pas quoi identifier.
À Londres, j’étais aussi en pleine convalescence de deux maladies qui ont longtemps fait partie de moi, la dépression et la boulimie. En me faisant vomir, mon estomac était plus acide et mon palais était moins bon. Ça a été déclencheur : en arrêtant de me faire vomir j’allais avoir un meilleur palais et pouvoir identifier toutes les flaveurs d’un café.
Tu dirais que l’envie de mieux déguster t’a aidé à guérir ?
Je dirais plutôt que mon processus de guérison m’a appris à mieux déguster. J’ai surmonté la dépression en faisant tout pour mieux vivre le moment présent. Je suis une personne plutôt spirituelle, et à partir du moment où je suis connectée au moment présent, j’évite les pensées négatives et tout ce qui est problématique devient extérieur.
Pour vivre le moment présent et s’y connecter, il faut faire attention à chacun de ses sens. Cette manière de penser m’aide à mieux déguster, à comprendre que goûter passe aussi par l’odorat, la vue, le toucher. C’est ce que j’appelle goûter en pleine conscience.
C’est un concept très important de Sip ‘n’ Slurp. Qu’est ce qu’implique de goûter en pleine conscience ?
C’est prêter attention à toutes les sensations. Il est parfois plus facile d’ignorer ce qu’on mange, de ne pas faire attention aux goûts, aux textures, par exemple quand tu déjeunes le midi. Si tu manges un sandwich en marchant ou en discutant avec des amis, tu n’es pas concentré sur ce que tu manges.
Quand on fait vraiment attention, on fait une autre expérience. Manger en conscience, c’est manger doucement, en faisant attention à chaque bouchée ou à chaque gorgée pour revenir au café. C’est très important pour développer ses compétences.
Et comprendre cela m’a beaucoup aidé pour les compétitions et au travail. Pour évaluer chacune des tasses que je goûte, je dois être présente, être calme. C’est comme ça que le café est devenu quelque chose de spirituel pour moi.
Comment est née l’idée de ce livre ?
En 2018, je voulais tellement gagner les championnats du monde de Cup Tasting que la compétition est devenue une obsession.
Et puis j’ai gagné ! J’avais atteint mon but, mais peu après je me suis demandé pourquoi je m’étais tant impliquée dans la compétition. J’étais vraiment perdue, j’avais atteint mon but sans être aussi comblée que je l’avais imaginé. Quel était le véritable intérêt ?
Une amie m’a alors proposé de profiter de cette aventure pour écrire un livre sur l’expérience sensorielle.
Je me suis demandé qui achèterait ce livre, et en cherchant un peu, je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas beaucoup de livres sur la dégustation de café. S’il y en avait, alors c’était de la littérature académique. Mon idée à été d’écrire un livre simple que les gens pourraient terminer en 1h ou 2.
Que dirais-tu à quelqu’un qui pense que le café ne goûte que le café ?
Quand j’ai commencé à écrire, je demandais à tout le monde comment améliorer ma dégustation, et tout le monde me répondait “continue simplement à goûter”.
Alors j’ai continué, avec le café et aussi avec tout ce qui peut être « same same but different« , comme les différents variétés de pomme. Mais combien est-on aussi passionné par le café ? Il faut essayer et continuer, et surtout donner envie aux gens d’essayer. Je ne peux pas dire à l’immense majorité de la planète qu’ils ne doivent pas boire leur café avec du lait ou avec du sucre, c’est à nous de rendre la dégustation accessible.
Je dirais donc qu’il n’y a pas de « mauvais goûteur ». Tout le monde peut le faire, à condition de se détacher de ses idées négatives autour du café. Il faut goûter, goûter et encore goûter pour comprendre que tous les cafés sont des cafés, mais différents.
Quel genre de cafés préfères-tu ?
Ça change tout le temps. Au départ, j’adorais les cafés éthiopiens et kényans. Et puis je me suis mis aux cafés d’Amérique Centrale, et puis en ce moment je reviens aux cafés d’Afrique de l’Est. Mon origine préférée restera quand même la Colombie, il y a tellement de régions différentes… mais je ne peux pas te dire quel café, c’est un peu cliché mais au fond je les aime tous.
Avant de déguster, il faut aussi préparer. Comment prépares-tu un café ?
Je vais reviens à l’accessibilité. Une Kalita Wave est très permissive, c’est un dripper à fond plat, et c’est plus facile d’extraire un bon café avec. Avec une V60, tu dois faire plus attention aux détails, car l’eau coule plus vite et comparé à un Kalita, la V60 ne pardonne pas.
Aussi, je voyage beaucoup et je ne sais jamais quel genre de bouilloire je vais trouver sur place. C’est pour ça aussi que j’aime la Kalita parce que tu as moins besoin de faire attention à tous les détails.
Ma recette, c’est 15 grammes de café pour 250 grammes d’eau en 2’30. Je fais un premier versement de 50 grammes d’eau, et puis doucement mais régulièrement, je verse le reste d’eau en essayant de terminer à 1’30.