Le goût du café avec Dajo Aertssen, vice-champion du Monde Cup Tasters

Depuis ses débuts chez Coffee Makers en 2013, jusqu’à sa 2ème place aux mondiaux Cup Tasters en 2019, Dajo Aertssen est un visage incontournable du café de spécialité à Lille. Et bien qu’il vienne de quitter la torréfaction lilloise, le champion de dégustation garde le contact avec ses anciens collègues, qu’il entraîne pour le championnat 2020.

Pour l’avoir rencontré en tant que client, c’est un fait : Dajo aime partager sa passion pour le café avec tout le monde, débutant ou confirmé. Alors, qui d’autre que lui pour parler goût et café ?

Comment est venu ton intérêt pour la dégustation de café ? 

Quand je suis arrivé chez Coffee Makers, je ne savais rien sur le goût, sur les origines, la torréfaction ou même les méthodes douces. J’ai tout appris avec Colin et Matt (les fondateurs de Coffee Makers, ndlr). Et puis avec ma copine, je suis parti au Brésil et j’en ai profité pour voir le café à l’origine. J’ai voyagé le plus possible pour voir des fermes, jusqu’à rencontrer Deneval et sa famille à la ferme de Sitio Cordilheiras. C’est grâce à eux que j’ai vraiment développé mes compétences de dégustation. Ils venaient d’acheter une machine à torréfier des échantillons pour avoir plus de contrôle sur leur production. On a commencé à goûter tous les cafés, à les cupper et noter les différences, tout en suivant des cours de préparation de Q-Grader.

Au quotidien, ces compétences t’ont servi chez Coffee Makers ?

Ici mon plus grand rôle était lié à la dégustation, au contrôle de la qualité de la torréfaction. Pour contrôler la qualité, on goûte d’abord si tout ce qui vient d’être torréfié est consistant, et puis ensuite on fait des tests pour améliorer la torréfaction. C’est là où il faut être vraiment focus, pour chercher plus loin et continuer de s’améliorer.

Ça ne t’arrive jamais de te faire une idée trop rapide d’un café, à cause de l’habitude ?

Si, ça peut arriver, complètement. C’est très dur d’être vraiment focalisé sur ce que tu es en train de goûter et de bien faire ce boulot de dégustation. Ça demande beaucoup de concentration et d’avoir plusieurs avis. 

Quand on goûte, les notes que chacun trouve ne sont pas forcément les mêmes. Alors on prépare le café différemment, en filtre ou en espresso, on discute des différences. Tout cela permet de trouver un compromis. Les notes de dégustation, ça reste subjectif. On pourrait trouver 10 ou 15 notes, il faut plutôt voir ça comme un indicateur et pas comme une vérité absolue.

Et alors, comment sélectionner les notes qui seront communiquées au public ?  

La question que je me pose le plus souvent, c’est de savoir ce que le public va vraiment ressentir. Et d’ailleurs, est-ce que tout ça est vraiment important pour tout le monde ? Est-ce qu’il faut être précis et parler de notes de canneberge, ou alors être le plus ouvert possible et plutôt parler de fruits rouges ?

Ce travail, il se faisait à l’oral, quand les clients posent des questions sur leur café ?

C’est vrai qu’au-delà des notes que l’on trouve sur le paquet, le plus important de la communication se fait à l’oral, au coffee shop, en discutant avec les clients. Sur les paquets de café on ne peut pas mettre beaucoup d’informations, alors qu’au coffee shop je pouvais adapter mon discours. Quand un client débute, je vais plutôt lui parler d’un café fruité que de notes de jasmin. C’est l’avantage d’être en contact direct avec le client.

Pour trouver des notes aussi précises, comment tu fonctionnes ? 

J’aimerais m’entraîner plus, et faire des sessions de calibrages avec certains fruits. Mais je fonctionne surtout avec ce que je connais, par exemple si les notes que je trouve s’apparentent aux fruits rouges, je vais chercher dans ma mémoire quel fruit en particulier, pour trouver une note précise. 

Dajo Aertssen pendant les championnats du Monde Cup Tasters
Dajo Aertssen pendant les championnats du Monde Cup Tasters (crédit : Kristaps Selga)

Et l’odorat, ça entre en jeu pour goûter un café ?

Souvent, on peut trouver des notes différentes au nez. Pour moi, les arômes ne sont pas assez mis en valeur sur les notes de dégustation. Alors que c’est aussi intéressant que les flaveurs. Se poser sur une carafe de café filtre, prendre 1 minute pour se laisser transporter… c’est là que commence la dégustation.

Tu as souvent recours à la roue des flaveurs de la SCA ?

Pas tant que ça, j’essaie vraiment d’utiliser ma propre expérience, mes souvenirs. Je me sers de la roue des flaveurs (plus communément appelée roue des saveurs, ndlr) uniquement quand je suis bloqué, ça peut m’aider à trouver l’inspiration.

Tu as déjà retrouvé un goût de ton enfance en goûtant un café ? 

Oui, c’est un souvenir qui est lié à mon père. Aujourd’hui encore il fait toujours la même confiture, avec des fraises, de la rhubarbe et de la fleur de sureau. Dans certains cafés kényan, il m’arrive de retrouver exactement ce goût, c’est quelque chose de très personnel. 

Pour toi, le goût est-il la chose la plus importante à communiquer sur un café ?

Je trouve qu’on met parfois trop de focus dessus, alors que c’est aussi intéressant de parler de la structure du café : le corps, l’acidité, la fin de bouche. C’est des choses que je découvre seulement maintenant, et c’est là-dessus que la préparation au championnat Cup Tasters m’a ouvert les yeux, l’année dernière. Il faut chercher plus loin que les notes, focaliser sur tous les aspects du café et alors la dégustation devient encore plus intéressante.

Tu avais un entraînement particulier pour le concours Cup Tasters ?

Oui, d’un côté la préparation mentale : des exercices de méditation et de respiration pour réussir à me mettre dans ma bulle, gérer le stress et surtout améliorer ma perception. Ensuite, je me suis beaucoup entraîné à déconstruire le café, et à me focaliser sur un élément à la fois. Par exemple quand je m’entrainais sur l’acidité, je goûtais les cafés très rapidement pour la ressentir plus vivement. Je pense avoir fait entre 5 et 600 triangles avant le concours !

Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui voudrait mieux goûter son café ?

D’utiliser la fiche de dégustation de la SCA. C’est tout un protocole, pendant lequel on évalue les différents aspects d’un café : arôme, équilibre, corps… On peut suivre tout le protocole ou alors prendre 1 aspect et se concentrer dessus, par exemple le type d’acidité, ou alors réfléchir à quel fruit on pense. Tout ça permet de développer petit à petit ses compétences.

Aussi, c’est intéressant de goûter à un maximum d’aliments, de boissons comme le vin ou la bière. Ce sont par exemple 2 boissons dans lesquelles tu peux trouver un goût de fermentation, et que j’arrive maintenant à retrouver dans les cafés qui ne sont pas très cleans.

Pour finir, quel est le goût que tu préfères retrouver dans un café ?

Au début, j’aimais beaucoup les cafés acides, c’était étonnant. Aujourd’hui je fais beaucoup plus attention à l’équilibre, à la buvabilité. Il faut qu’un café reste agréable à boire. Et une acidité trop prononcée, ça peut être chouette au début mais à la longue… Avant tout, je cherche les notes étonnantes. C’est ce qui m’a impressionné au début et continue de m’étonner. J’y reviens, mais la plus surprenante des notes que j’ai trouvé, c’est celle qui me fait penser à la confiture de mon père. Un côté fruité, sucré et floral à la fois… ça m’a vraiment bouleversé !