Les cafés de forêt, une spécificité éthiopienne ?

Depuis 3 ans, l’importateur français Belco développe une marque singulière, composée de cafés produits au cœur des forêts éthiopiennes. Son nom ? « Cafés de Forêt ». Simple, comme pour signifier à quel point l’environnement dans lequel pousse un café lui donne son identité.

Pour en discuter, nous avons rencontré Delphine Ayerbe, chargée de recherches, et Jacques Chambrillon, responsable de l’agence Belco Ethiopie, dans leurs locaux à Addis-Abeba. L’occasion, aussi, d’en apprendre plus sur leur travail d’importateur de café en Ethiopie.

Les cafés de forêt, qu’est-ce que c’est ? 

Delphine : C’est un modèle d’agroforesterie particulier, avec des caféiers introduits dans des forêts existantes. Ce que les éthiopiens expliquent très bien : tu as les cafés semi-sauvages, ceux dont on parle à travers “Cafés de forêt”, ensuite les cafés plantés en verger et les plantations en monoculture, qui sont très rares ici. « Cafés de forêt », la marque que nous développons, permet de distinguer ces façons de faire du café.

Pourquoi les cafés de forêt sont-ils un modèle typiquement éthiopien ?

Delphine : Très simplement, les producteurs ont reproduit ce qu’ils ont observé dans les forêts, à l’état sauvage. Ils ont réintroduit eux-mêmes des caféiers comme ils les voyaient à côté de chez eux.  C’est vraiment un modèle qui s’inspire de la nature, transmis de générations en générations.

L’idée à travers « Cafés de Forêt », c’est aussi de transmettre une forme d’héritage, expérimenté depuis des années et dont les producteurs voient les effets bénéfiques, à commencer pour les forêts puisque la présence des caféiers permet leur maintien.

« Cafés de Forêt », c’est donc aussi un moyen pour Belco de valoriser l’environnement autant que les cafés ?

Delphine : Ce qu’on trouve intéressant de valoriser, c’est la façon de produire du café, qui donne aux forêts plus de valeur et une raison d’être. Bien sûr ce n’est pas immuable, mais il y a un lien réel entre le système agroforestier et le maintien des forêts. « Cafés de Forêt » et son cahier des charges ont du sens pour le café comme pour la préservation de l’environnement et de la biodiversité.

Pour être « Cafés de Forêt », il faut que les caféiers se trouvent dans une forêt comprenant au moins 10 espèces d’arbres différents, un minimum de 40% d’ombrage… Ce sont aussi des zones de production plus restreintes, ce qui permet une meilleure traçabilité du café.

Production de miel dans les forêts caféières en Ethiopie – Crédit photo : Shambe Kena

Les forêts dont nous parlons, elles appartiennent depuis longtemps aux producteurs ?

Delphine : En fait parler d’appartenance, c’est un peu compliqué, car en Ethiopie, il n’y a pas de propriété foncière, la terre reste propriété de l’État mais est attribuée en système de location sur 99 ans généralement à ceux qu’on dit “propriétaires” mais c’est un raccourci. Et dans ce système, les producteurs peuvent avoir hérité de forêts de leur père ou de leur grand-père et continuent à faire ce qu’ils ont vu quand ils étaient petits.

D’autres producteurs, comme Negussie Tadesse à Bonga, ont investi pour produire du café, mais en s’inspirant de cette manière de faire. Negussie aurait pu tout raser et faire du maïs, produire du café est aussi un choix fort dans un pays où la course au rendement est encouragée, notamment par les autorités.

Dans ce système, quel est votre rôle vis-à-vis des producteurs ? 

Delphine : Notre rôle n’est pas d’expliquer aux producteurs comment travailler mais de comprendre comment ils travaillent. C’est pour cette raison aussi que la marque « Cafés de Forêt » a du sens, pour montrer à ces producteurs que ce qu’ils produisent a de la valeur, que c’est précieux et qu’il y a une clientèle pour ces cafés alors qu’eux ne s’imaginent pas assez standardisés ou assez modernes. L’argument pour maintenir tout ça, c’est évidemment que les prix suivent.

Jacques : Un prix qui est basé sur la qualité et sur les coûts de production. C’est d’ailleurs de cette manière que devraient s’acheter tous les cafés de spécialité.

Aujourd’hui, vous évaluez précisément ces coûts de production ?

Delphine : On détaille toutes les étapes, les coûts que représente chaque travailleur, ce que coûte le fauchage à la main par exemple… Pour mieux valoriser ce travail et faire qu’il soit durable. Pour compléter, on travaille en partenariat avec des étudiants de l’université de Jimma, qui viennent sur le terrain effectuer des relevés et faire en sorte que l’on ait des données toujours plus fiables sur ces coûts de production. 

Dans la forêt d’Anfilloo, sud-ouest de l’Ethiopie – Crédit photo : Alba Rodriguez Nunez

C’est le point de départ de l’agence Belco en Ethiopie, être sur le terrain pour mieux comprendre comment travaillent les producteurs ?

Jacques : Tu as 2 types d’acheteurs de café. Ceux qui achètent sur table, cuppent et repartent avec le café qui a le meilleur score. Nous, on s’intéresse aussi aux producteurs, parce que ça doit accompagner le score d’une tasse. Si tu as une belle forêt, ça se répercute sur la tasse et ça a un prix.

Pour connaître ces éléments, il faut forcément être sur le terrain, rencontrer les producteurs et savoir restituer toute cette expérience au consommateur. La café de spécialité, c’est de l’agriculture, un équilibre entre le rendement et la qualité des fruits. Ce n’est pas qu’un produit auquel on met une note.

Alors le point de départ de l’agence, c’est surtout de donner du sens à la tasse, de savoir l’expliquer. Tout ça combiné permet de justifier un prix, une différence de prix, et aussi d’assurer la logistique. Il ne faut pas oublier que notre travail, c’est aussi l’import de café.

Dans un pays qui connaît des tensions régionales, c’est compliqué ? 

Jacques : Déjà, il faut savoir que tout part de Djibouti. Il y a donc une frontière à passer, par la route après 800 kilomètres, depuis Addis-Abeba. Faire sortir du café d’Ethiopie, ça demande de se renseigner sur ce qui se passe dans le pays. C’est toujours compliqué de faire bouger 18 tonnes de cafés, ici selon le contexte ça peut être encore plus compliqué…

Delphine : Les conséquences de la situation actuelle et des tensions entre les régions, surtout dans l’ouest, rendent difficile l’acheminement du café vers Addis pour les producteurs. Le risque, c’est par exemple le vol de marchandise pour alimenter les réseaux de contrebande. Les producteurs prennent beaucoup de risques pour fournir leur café, mais une fois à Addis, c’est déjà plus simple.

Caféier de forêt, dans la région de Guji, Ethiopie – Crédit photo : Shambe Kena

Pour revenir aux recherches sur le terrain, comment influent-elles sur le discours avec le client final ?

Jacques : Tout le travail de recherche en local repose sur des méthodes scientifiques, avec un protocole, beaucoup de collecte, pour les transmettre au service marketing de Belco. Forcément, ça donne un discours plus nuancé, loin des recettes toutes faites. Mais c’est important de donner des informations justes, d’éviter le discours moral et de dire la vérité à nos clients, qui sont les torréfacteurs. 

Delphine : C’est ce qui est aussi intéressant avec « Cafés de Forêt » au niveau de la communication : se concentrer sur ce qui se fait sur le terrain, casser l’image un peu romantique d’une nature préservée et idéalisée. C’est bien le travail agricole qui favorise cette préservation de l’environnement. C’est important pour les torréfacteurs, mais aussi pour les producteurs car c’est hyper éclairant d’échanger et de comprendre le regard que le torréfacteur a sur leur produit.

La marque « Cafés de Forêt » pourrait-elle intégrer des cafés venus d’ailleurs que l’Ethiopie ?

Delphine : On souhaite que la marque garde du sens, mais si on trouve des modèles similaires dans d’autres pays, pourquoi pas. Par exemple, on trouve des forêts comme celles que l’on trouve ici, sous ombrage, en Colombie ou au Chiapas. On réfléchit à élargir la gamme “Cafés de Forêt”.

Pour finir, pourquoi avoir choisi de faire de “Cafés de Forêt” une marque plutôt qu’un label ?

Delphine : C’est une question que l’on se pose aussi, mais on ne voudrait pas que le label devienne trop contraignant pour les producteurs, que ça les engage dans des démarches administratives compliquées et éventuellement payantes. On envisage les options, mais on veut que les producteurs conservent leur indépendance dans ce projet.